Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



samedi 29 juin 2013

Pendant que j'y pense #19




1 Deux jours dans le Médoc. Plein de beaux vins et, surtout, de vieux millésimes. Fourcas-hosten 89, juste somptueux marqueur d'un château en plein boum qualitatif. Lafon-rochet 86, de bonnes intentions, mais un début de fatigue, quand son cadet, le 2000, était magique. Phélan-ségur 96, droit comme un qui est sûr de sa haute lignée. Et, pour la première fois, merci Anne, j’ai bu à table un haut-carles et c’est très, très bon. C'était un 2006.
Le prétexte, quelques interviews et autant de photos, m’a permis de découvrir ou de confirmer de belles énergies, du travail tendu vers le meilleur, cette détermination exemplaire. Chaque fois, ça me rappelle à quel point le vignoble produit des gens de qualité, chacun à son niveau.



2 Un aller-retour express à Mareuil-sur-Aÿ, chez Billecart-Salmon, belle maison de Champagne. Antoine Roland-Billecart m’a montré son nouveau chai à barriques, d’une grande simplicité et authenticité. Il élève une grande partie de ses vins en barriques d’au moins quatre vins et jusqu'à douze ou quinze. La maison, très tournée vers le rosé, fait de grands rouges pour l’assemblage. Elle produit aussi un joli extra-brut, un superbe blanc de blancs et trois cuvées de très haut niveau, dont ce rosé millésimé Élisabeth Salmon. À table, nous avons bu le 1988. Après le dom-pérignon 03 de la semaine dernière, je crois décidément que les rosés forts en couleur, c’est-à-dire avec un bon pourcentage de vins rouges, sont les plus intéressants, les meilleurs. Nous avons arpenté le clos de la maison, un hectare en bio-dynamie depuis dix ans, c’est le Clos Saint-Hilaire. 
Vite, avant de reprendre le train à Épernay, un petit détour par le canal latéral à la Marne, au pied du Clos des Goisses. Ça, c’est du coteau. Léger regret de ne pas aller saluer Charles Philipponnat, mais on ne peut pas tout faire.



3 Maintenant que tout le monde fait son blanc à Saint-Émilion (en appellation bordeaux générique, bien sûr), je n’ai pas raté celui de Silvio Denz au château Faugères. Les 30 % de sémillon lui vont très bien et voilà un très joli blanc, rond, dense, aromatique.



4 Un soir, tard, cognac. Le multi-millésime de Frapin, cette coupe est réalisée avec des eaux-de-vie de 82, 83 et 85. Tout vient du vignoble du château de Fontpinot et c’est une production très confidentielle. Là, on est au paradis et c’est le cas de le dire.

lundi 24 juin 2013

Le prix du vin, sujet creux

L’un des sujets les plus creux qui se puisse trouver dans ce monde qui nous passionne, c’est le prix du vin. Depuis qu’il a rompu d’avec le pain, qu’il n’est plus un aliment, mais un plaisir, son prix a connu une envolée certaine. Bien sûr, sa qualité aussi. On boit beaucoup moins, du coup, et on boit mieux. Tout le monde le sait et pourtant quelle agitation, que de débats, d’invectives.
Portés par l’enthousiasme de ceux qui, peu à peu, découvrent les subtilités du divin breuvage, les prix des plus célèbres étiquettes ont atteint rapidement des altitudes stratosphériques qui les ont définitivement coupés du monde des vivants que nous sommes. Devenues peu ou prou objets de luxe, parfois de spéculations, signes extérieurs de richesse, symboles statutaires, ces grandes cuvées ne touchent plus terre. Nous, oui.

Pour vous comme pour moi, le drame est très relatif. La qualité générale des vins a fait d’immenses progrès. La différence de qualité entre un lafite et ses suivants s’est amenuisée assez nettement. Seul son prix creuse un écart significatif. Aujourd’hui, ces vins extrêmes ont été remplacés dans les cœurs et dans les caves des amateurs par d’autres, un deuxième rideau d’excellence qui constitue une sorte de relève. S'il nous arrive de goûter ici ou là un pétrus ou un haut-brion, on pousse des petits cris de joie, on ferme les yeux et voilà tout. On ne boit pas de pétrus à tous les repas ? La belle affaire. Ça n’empêche personne de dormir ni de soigner sa cave avec d’infinies précautions pour être sûr de toujours boire bon, ceci dans le cadre forcément limité par des moyens de gens normaux.
Seulement voilà.
Le prix du vin provoque de véritables poussées d’urticaire chez certains de ceux qui ne peuvent plus acheter et boire les plus grands, mais pas seulement ceux-ci. Les autres qui se bagarrent dans le ventre mou du marché (de 20 à 60 euros) y ont droit aussi. Tous ces vignerons se voient intimer l’ordre de baisser les prix à longueur de rubrique dans la presse spécialisée ou pas et, surtout, sur le Net. Voyez la récente campagne des primeurs, c’est hallucinant le culot de ces chroniqueurs qui savent mieux que l’homme de l’art ce qui est bon pour lui, eux qui n’ont jamais rien vendu d’autre que leur vieille bagnole d’occasion. Comment, disent-ils, vous osez augmenter vos prix ? Ceux-là n’ont pas de mots trop forts, insinuant le pire, volontiers injurieux, pour stigmatiser l’esprit de lucre qu’ils discernent à l’évidence chez ces vignerons cupides, leur refusant par là-même le droit de gagner de l’argent, de réussir, de transmettre. Droit qu’ils accordent volontiers à un footballeur inculte ou un chanteur inepte au motif unique que les carrières sont courtes.
Mais le vigneron et sa récolte annuelle, non.
C’est pourtant, aujourd’hui, un chef d’entreprise malmené par une réglementation décourageante et une législation obscène. Il est loin le temps romantique du vigneron-paysan qui prie le ciel qu’il fasse beau temps. Aujourd’hui, il doit savoir tout de l’ordinateur, de la comptabilité, du commerce, de la communication, de la logistique, des RP, des RH et de tous les acronymes d’un monde administratif qui s’en donne à cœur joie en la matière. Chacun reconnaît au moindre informaticien à succès le droit d’être l’homme le plus riche du monde. Le vigneron, lui, non. C’est un peu bizarre.
Depuis quand un entrepreneur devrait baisser les prix de sa production pour complaire au plus grand nombre ? Dans quel secteur de l’activité humaine voit-on des choses pareilles ? Ou alors, c’est la grande distribution qui pèse sur les producteurs de lait avec les dégâts que l’on connaît. Nos procureurs du vin souhaitent-il le même sort aux vignerons ?
Ces garçons et ces filles qui, à force de talent, de passion et de travail — et de travail encore et encore, mettent sur le marché des bouteilles sublimes n’auraient pas le droit de voir toute cette débauche d’énergie récompensée parce qu’un Guignol déguisé en Robespierre les cloue au mur (des cons, forcément).
On sait pourtant ce qu’il faut de batailles pour gagner un euro de plus par bouteille. Qui parfois sert à changer la Mercedes — et alors ? — ou qui, le plus souvent, accélère les remboursements d’emprunts importants et permet de travailler mieux, plus propre, plus précis, plus fin. Pour, qui sait, gagner un autre euro de plus par bouteille au bout de quelques années et pour que, mis bout à bout, tout ceci ressemble, in fine, à la réussite d’une vie de labeur. Un scandale ?

L’actualité la plus récente me laisse penser que si certains vignerons vendaient leur très belle production à des prix plus élevés, ils pourraient plus facilement faire face à des désastres climatiques à répétition au lieu de se retrouver dans les plus scabreuses des positions financières à chaque passage de grêle.



samedi 22 juin 2013

Pendant que j'y pense #18

1 Quand on était petit, avec mes frères et sœurs à l’arrière de la 404 de mon père, on se moquait des gens qui déjeunaient au bord de la route. Les enfants sont cruels. On baissait la vitre, on criait « bande d’abrutis », ils comprenaient
« bon appétit » et ils agitaient la main pour dire merci. On riait très fort et on se faisait un peu engueuler par les parents.
L’impression d’être le neuneu qui déjeune au bord de la route m’est revenue en pleine figure cette semaine à l’occasion d'un déjeuner étouffant au bord de l’autoroute urbaine des bords de Seine entre l’Alma et le Trocadéro. Nous étions chez Monsieur Bleu, au Palais de Tokyo. Le maigre écran végétal empêche de voir les voitures, mais pas de les entendre, c’est assourdissant.
Il fait trop chaud, on est mal, on peut à peine se parler à cause du bruit du quai. Situation ridicule pour un déjeuner qui aurait du tenir ses promesses de félicité. Assiette d’une banalité affligeante. Service alerte et efficace, mais accueil nul (le top-model à la casse de deux mètres de haut qui te reçoit en te considérant avec dégoût, y avait longtemps qu’on me l’avait pas faite celle-là). Allez, sujet suivant.



2 Moi, je lis Decanter, excellent magazine spécialisé et anglais. Là, un classement des 50 importants du mondovino, ce qu’ils appellent la Power List. J’adore, ça fait très rapper, PowaList. Un bon quart de Français, dont le premier, Pierre Pringuet (Pernod-Ricard) et Rouzaud, Arnault, Castel, Rolland, Villaine, Casteja, Dubourdieu, d’autres, que du lourd ou du très lourd et… Mathieu Chadronnier, le DG de l’un des trois plus importants négociants bordelais, un jeune homme très brillant et très inconnu que j’avais eu l’occasion de rencontrer et d’écouter dire des choses intelligentes. Les Anglais, qui ont moins de complexes que nous, ont établi cette liste en se demandant qui sont les gens qui ont de l’influence sur le vin que nous buvons. Des œnologues, des propriétaires, des critiques, des marchands. Bien sûr.




3 Grand soir au château de Saran, en Champagne, qui suivait une dégustation dédiée à Dom Perignon. Avec Richard Geoffroy, l’emblématique chef de caves de Dom P et Benoît Gouez, son alter ego en charge de Moët & Chandon.
Une excellente occasion de :
- se souvenir que moët 2004 est un grand vin, un très beau champagne de haut niveau.
- découvrir dom-pérignon rosé 2003, un vin puissant, follement aromatique, très dense en couleurs (20% de vin rouge)
- plus généralement, et au fil des millésimes goûtés, en bouteille ou en magnum, réaliser que le champagne rosé est aussi un vin épatant, pas un produit de mode ou d’été.
- écouter Bettane, sa science du champagne, adapter Mallarmé : « Tels qu’en eux-mêmes, l’éternité les change » ou faire voler en éclats une idée reçue : « Les plus sublimes terroirs de pinot noir sont en Champagne, pas en Bourgogne. » À ce stade, il reparle de son pote Francis Égly, ses coteaux-champenois.
- d’entrer dans un débat compliqué sur les qualités de l’acidité des vins. « Pas un gage de vieillissement » assène Gouez. « Un graal champenois dont il faut savoir s’affranchir » annonce Geoffroy. Bettane, puis Desseauve confirment. Ça plane à 15 000. Geoffroy encore : « 96 était un monstre d’acidité, les 2/3 des vins sont déjà morts. 1959, année chaude, acidité basse, un vin au sommet aujourd’hui. Personne n’a jamais prouvé que l’acidité est un élément du vieillissement. » 
- s’émouvoir de l’extrême finesse d’un dom-p rosé 82.
- passer à table avec une théorie de moët-et-chandon de tous âges, 2004 à 1962. Très impressionnant et une preuve éclatante de la capacité quasi-unique du champagne à vieillir en grande beauté.
- Se réveiller le matin dans la grande maison en se disant que les beaux vins, même bus sans vraiment de mesure, ne font jamais de mal et s'apercevoir que tout le monde est d'accord avec ça.


jeudi 20 juin 2013

Un Spécial Saint-Émilion, c’est spécial



Le beau magazine Vigneron sort un gros (plus de 240 pages) numéro consacré pour l’essentiel à Saint-Émilion, ses grands hommes et ses beaux vins, mais pas seulement.
J’en recommande la lecture à tous ceux qui doutent de la capacité de ces terroirs d’exception à être menés au mieux par des gens épatants.
Comme, en plus, l’éditeur me fait la grâce de m’accorder à chaque numéro une page sobrement intitulée "L'humeur de Nicolas de Rouyn", je vous le recommande deux fois avec beaucoup de plaisir.

mercredi 19 juin 2013

Le Beaujolais, il fallait oser

Qu’est-ce qui peut bien pousser un type sérieux à se lancer dans l’aventure du vin ? Une fine blague entendue ici ou là promet que pour faire une petite fortune dans le vin, il faut commencer avec une grande. C’est vrai, ça ? Répondons prudemment que ça dépend. En tous cas, choisir à la fois un château qui demande de gros travaux de restauration, un domaine en pleine déshérence et une région qui connaît un gros déficit d’image est une gageure.


Jean-Jacques Parinet a créé une société informatique qui a connu un bon succès. Il l’a revendue et s’est posé la question de l’emploi des capitaux réalisés. Il a deux fils. Le premier fait une carrière sans souci dans le monde de la finance. Le second a été piqué par la passion du vin très jeune. À Sup de Co, il était de toutes les réunions du club d’œnologie, a fait tous ses stages chez des cavistes, des marchands de vin. C’est lui, le fautif. C’est lui qui a poussé son père vers le Beaujolais, vers le château de Moulin-à-Vent.


On est en pleine saison 2009. L’affaire est vite conclue. L’entrepreneur Parinet sait ce qu’il fait, ce n’est pas la première fois qu’il croche dedans, comme disaient autrefois les terre-neuvas. Et comme il ne sait rien de la vigne et de ses complications, il s’adjoint les services d’un grand homme de la Bourgogne, Bernard Hervet, aussi connu pour ses succès chez Faiveley. Il est, aux côtés d’Erwan Faiveley, l’artisan du renouveau des vins de la maison. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, 2009 s’avère la grande année, le millésime que le Beaujolais attendait pour redresser une situation compromise. La chance accompagne souvent l’audace. Un graphiste avec du talent réalise une belle étiquette, tout le monde se met au boulot et les premières bouteilles du château-de-moulin-à-vent 2009 plaisent beaucoup aux amateurs comme aux professionnels. Le vin est excellent. Dans le Guide Bettane & Desseauve, on peut lire ceci : « Les tanins sont élégants, la finale de bonne fraîcheur, l’ensemble est délicat et raffiné. » Ce commentaire, assorti d’une belle note pour un premier millésime, autorise Jean-Jacques Parinet à voir l’avenir sous des couleurs chatoyantes. Il faut dire qu’avec Bernard Hervet, ils avaient décidé sans délai de produire trois sélections parcellaires, en plus de la cuvée classique. Croix-des-vérillats, champ-de-cour et couvent-des-thorins apportent à l’amateur autant d’expressions différentes du gamay sur ces terroirs de Moulin-à-Vent.

Alors ? Il suffit d’avoir le sens du succès pour réussir dans le monde mystérieux des beaux vins ? Notre homme n’est pas d’accord. « Tout n’est pas transposable. Les fondamentaux de l’entrepreneuriat sont les mêmes en toutes circonstances, mais ici, ce ne sont pas les mêmes sensibilités qui sont activées. Dans les autres métiers que je connais, votre sens esthétique n’a pas d’influence. C’est assez déstabilisant de réinventer des rythmes, des réflexes. On est conditionné. Cela dit, j’ai toujours fait des métiers que je ne savais pas faire. C’est la raison pour laquelle je me suis très bien entouré. Je sais écouter, je sais faire confiance et je sais donner mon avis. La grande différence, c’est l’implication personnelle et pas seulement parce que ce projet a une dimension familiale. J’ai été élevé dans le culte de la transmission. Assurer la promotion de la génération qui suit était un souci majeur pour mes parents. Bien sûr, l’expérience ne se transmet pas, mais je peux aider à arrondir les erreurs. »
Par crainte d’avoir l’air d’un Parisien, il passera sous silence les affres nouvelles qu’il a découvert, les yeux rivés vers le ciel à chaque instant, le pouvoir des insectes nuisibles, les grandes inconnues de la fermentation. Ou alors, il avait d’autres préoccupations : « J’ai acquis un domaine à l’arrêt, sans réseau de commercialisation, dans une appellation perdue. Mais on progresse vite. » En effet, peut-être n’a-t-il jamais eu le temps de regarder par la fenêtre. Quoi qu’il en soit, l’aventure lui va bien. Propriétaire d’une trentaine d’hectares au début, il a agrandi le domaine de 17 hectares supplémentaires en se portant acquéreur d’un domaine voisin, la Tour du Bief qui compte quelques parcelles d'exception. Le voilà vigneron pour de vrai. Et Édouard aussi. Enfin, l’un et l’autre sont surtout très occupés à vendre le vin à travers la planète. Déjà, quinze pays absorbent 50 % de la production. On dirait bien que l’affaire est gagnante et Parinet se sent fort : « J’ai passé 25 ans à installer une marque française dans un monde professionnel dominé par les Américains. Mon credo, c’est la marque. D’ailleurs, je n’ai pas mis le mot Beaujolais sur mes étiquettes. » Même comme ça, nous nous sommes laissé dire que les voisins sont assez contents de ce sang neuf qui arrive à Moulin-à-Vent avec des moyens et des ambitions.  
« Et ce n’est que le début » précise Édouard, histoire d’enfoncer le clou.


Les photos : prises chez Legrand et signées Fabrice Leseigneur.
Ce sujet a été publié sous une forme différente dans le supplément Mes Dimanches Vin du Journal du Dimanche, le 15 juin 2013.

lundi 17 juin 2013

"Le vin, c'est Jésus et Verlaine, la main
dans la main"

Jean-Claude Carrière, le scénariste de Buñuel, de Haneke, adaptateur de Peter Brook ou de Cyrano de Bergerac, auteur de La Controverse de Valladolid, du Vin bourru et des Conversations avec Jean-Jacques Rousseau nous a reçu chez lui en compagnie de François Mitjavile, vigneron aux trente-huit millésimes dont les saint-émilion font briller les yeux des amateurs du monde entier.
C'est mon cher ami Jean-Luc Barde qui a provoqué cette rencontre insolite et passionnante et qui a animé cette conversation hors-normes. Voici l'intégrale de leurs échanges. Bien sûr, c'est long. La culture est comme ça, elle requiert un peu plus d'attention qu'un tweet.

Jean-Claude Carrière et François Mitjavile


Comment le paysan est-il devenu un intellectuel et l’intellectuel, un paysan ?
Jean-Claude Carrière : Est-ce qu'un intellectuel peut devenir paysan sans cesser d'être un intellectuel ? Un paysan ne peut pas, lui, devenir un intellectuel sans cesser d'être un paysan. J'étais l'enfant unique d'une très modeste famille du Languedoc. On cultivait la vigne, les légumes, on récoltait les châtaignes. Pendant les onze premières années de ma vie, j'ai appris le métier de paysan. Je sais toujours greffer un arbre, dresser un mur en pierres sèches, labourer avec un cheval. Je dois être l’un des seuls intellectuels à savoir le faire. Les instituteurs avaient convaincu mes parents de me présenter à l'examen pour l'obtention d'une bourse. J'ai été reçu premier du département, ce fut un grand honneur. Dans mon enfance, il n'y avait pas un livre à la maison, pas une image sur les murs, sinon les photos des grands-parents. Les premiers livres qui sont entrés chez nous étaient les miens, ceux de l'école, des prix que j'avais gagnés. C'est moi qui prêtait des livres à mes parents. J'ai très vite été attiré par les récits, les textes. J'ai écrit mes premiers romans vers neuf ans, des histoires de pirates, de western.
François Mitjavile : J'ai été élevé à Paris. Mon grand-père était centralien, mon père polytechnicien. Mais avant cette famille d'intellectuels, la source est paysanne. Ma grand-mère catalane savait parfaitement désigner, dans ses propriétés, le figuier où les fruits étaient les meilleurs. À l'âge de 26 ans, je suis revenu à la vigne, pour des raisons hasardeuses, discriminatoires. Je ne m'entendais guère avec mes patrons qui me considéraient comme un nullard. J'ai pensé que reprendre la propriété de ma femme, à Saint-Émilion au Tertre Rotebœuf, terre en déshérence, me permettrait de dire au monde : « je suis un homme qui sait faire quelque chose. » J'ignorais alors qu'une fleur se fécondait pour donner ses graines et se reproduire.
J.-C. C. : Ah oui, vous aviez un long chemin à faire.
F. M. : Oui. Ce qui m'a aidé, c'est un vrai bon sens. J'ai vite compris que le paysan est un observateur minutieux. Il fallait que je développe cet instinct, cette intelligence animale.


Pourquoi ces conversations avec Jean-Jacques Rousseau ?
J.-C. C.: Il existe chez Plon une collection qui invite au dialogue entre un auteur mort et un auteur vivant à condition de ne prendre de l'auteur disparu que des phrases qu'il ait écrites. J'ai tout de suite pensé à Rousseau, avec lequel je ne suis d'accord sur rien malgré mon admiration pour l'auteur. Premier de nos écrivains à être réellement prolétaire, un point que nous avons en commun, il est fils d'ouvrier. Il aimait le vin et fut le premier à dire - en 1750 - qu'il ne fallait pas manger de cerises en janvier et à prôner la consommation de fruits de saison.  

Il affirme que le premier et le plus respectable de tous les arts est l'agriculture, qu'en pensez-vous ?
 F. M. : C'est bien sûr la culture du sol. Par opposition à une conduite artistique ou à un comportement industriel, l'agriculteur s'interdit de faire ce qu'il veut parce qu'il ne peut pas changer le milieu. Il ne peut pas lui faire produire ce qui ne lui convient pas. L'artiste, l'industriel ont une possibilité de création que l'agriculteur n'a pas.
J.-C. C. : Ce qui me frappe dans la phrase de Rousseau, c'est le mot art. J'ai vécu quelque temps, avant l'agriculture, en Amazonie, chez les indiens Yanomamis, avec des chasseurs collecteurs. À cette occasion, mon éducation de paysan m'a aidé à pêcher avec eux. Je savais placer un filet, nager dans un fleuve pour attraper le poisson. J'ai vu là que la cueillette est un art, un instinct, un savoir qui ne vise à aucune tentative de transformation du milieu naturel. On assiste aujourd'hui à l'affolement de l'industrie alimentaire et, en réaction, à l'émergence de petits producteurs qui se rassemblent, proposent une alternative biologique.
F. M. : Ils me gênent beaucoup. À l'évidence, tout agriculteur attentif pense à la vie micro-biologique des sols, à l'écologie. Traiter avec discernement préserve un milieu favorable. L'agriculture est une pratique de civilisation. Affirmer que le milieu naturel serait bon pour l'homme est un jugement déviant, la nature ne lui a jamais été favorable. Ce qui m'ennuie chez les “biologistes”, c'est le caractère moralisateur de leur démarche. Il y aurait la bonne pensée et la méchante, celle des tenants de l'agriculture moderniste qui seraient de dangereux irresponsables. Ils ont peur de l'avenir de l'homme.
J.-C. C. : On ne peut nier les dérives de l'industrie agro-alimentaire et la folie des pratiques. Quant à l'emploi de la chimie, j'ai connu dans les années 60 l'arrivée massive des pesticides, insecticides et autres désherbants qui ont dénudé les sols. Il a fallu vingt ans pour les évacuer. Les paysans étaient contents. Mon voisin me disait: « je vais te le pétarder ton jardin. » Il y a eu des excès, mais on ne peut rien cultiver si on ne traite pas. Les vignes biologiques autour de chez moi subissent des traitements.
F. M. : L'agriculteur dispose de la lutte chimique, de la lutte prophylactique, de la lutte biologique. Certains semblent découvrir la lutte intégrée qui recommande l'emploi éclairé de l'un de ces outils. L'observation attentive de son vignoble conduit souvent à utiliser des remèdes légers. Il peut arriver, très rarement, que je sois amené à utiliser un insecticide puissant. Je peux le faire parce que je suis sûr de la qualité de l'équilibre écologique général de mon vignoble. Inutile de se réclamer de ce concept en prenant des airs révolutionnaires contre l'agriculture capitaliste. Il est sur ma table depuis 1978, en provenance de l'Association de coordination des techniques agricoles du ministère de l'Agriculture. On assiste à des guerres de type moraliste où la connaissance est écartée au profit de raisonnements d'ordre passionnel au nom de la sacro-sainte Nature comme figure de l'idéal. Malgré tout, les tenants du bio ont apporté quelque chose d'essentiel, et ont rendu accessible aux modernistes le caractère fondamental de la vie du sol .

Qui a défini ces goûts que les amateurs du monde entier recherchent dans vos vins ?
F. M. : Les chimistes et œnologues Ribéreau-Gayon et Émile Peynaud, ouvrier caviste devenu maître de recherches, ont pensé ce que devaient être les belles saveurs d'un vin et un bon savoir-faire. Le scientifique de haut vol et le gourmand praticien ont tracé la voie royale de l'école bordelaise. Ces penseurs du vin étaient des esthètes dotés d’un sens très sain de ce que devait être un joli vin adossé à une éthique modeste dans la pratique. Je ne suis pas de ces vignerons qui veulent révolutionner l'histoire et être créatifs. Je suis un agriculteur qui ne choisit pas les saveurs de ses fruits. Je ne fais que le petit pas de ma génération sur la longue route du savoir-faire.
J.-C. C. : Dans Le mauvais sujet repenti, qui met en scène une prostituée, Georges Brassens dit « l'avait le don, c'est vrai, j'en conviens, l'avait le génie, mais sans technique un don n'est rien qu'une sale manie. » C'est valable pour le vin ou le cinéma.
F. M. : Les menaces qui pèsent sur le vin sont à mon sens la volonté d'originalité, l'obsession de la créativité et l'absence de bon sens.

Les progrès de la science et leurs applications sont-ils souhaitables pour éradiquer les maladies qui affectent la vigne ?
F. M. : De manière générale, on devrait faire preuve d'enthousiasme pour des connaissances qui peuvent ouvrir des voies d'avenir. J'ai peur que la France repliée sur ses craintes ne s'éloigne du progrès. L'exemple du comportement à l'égard du court-noué est édifiant. Cette maladie virale s'attaque aux racines de la vigne et provoque sur les vieux vignobles des phénomènes de dégénérescence désastreux. On ne fait de bon vin qu'avec des vignes en bonne santé. Il faudrait quitter cette posture sacrificielle de la souffrance de la vigne, ces idées de rédemption par des rendements douloureux qui donneraient du bon vin. La nature, si elle est bien conduite, produit de beaux fruits. Nous avions en France une recherche en agronomie des plus pointues sur les OGM, sur le point de découvrir un gène de résistance à ce virus sur la variété vitis vinifera qui présentait toutes les garanties de sécurité. Les chercheurs ont abandonné parce que les agriculteurs, qui les subventionnent par l'intermédiaire des chambres d'agriculture, s'y sont opposés en les accusant d'être de dangereux démiurges. La connaissance scientifique enrichit l'imaginaire, le talent, le romantisme.
J.-C. C. : Il faut se méfier de l'idée que tout ce qui est scientifique est bon, de cette confiance aveugle en l'avenir, ce que nous avons longtemps appelé le progrès. Ce qui me frappe aujourd'hui dans le monde que je parcours, ce sont les tentatives d'exploration de voies autres que celles proposées par l'agriculture traditionnelle et l'agriculture intensive, industrielle. On ne s'en sortira toutefois que par la recherche. Au sujet des OGM, j'ai un sentiment tout à fait incertain, mais je ne suis pas du genre à arracher des plants de maïs.  

La mondialisation, l'uniformité dans le choix des végétaux menacent-elles la diversité des goûts?
J.-C. C. : La Bourgogne ne plante que du pinot et du chardonnay, de terroir à terroir ils sont différents, et ces cépages plantés en Australie ne donnent pas les mêmes résultats qu'à Vosne-Romanée. J'aime goûter la différence qui naît de parcelles, de vignerons, et à fortiori d'années, qui montrent la diversité des saveurs et des cultures.
F. M. : Mon enthousiasme pour l'aventure humaine me pousse à dire que depuis le big-bang les choses vont se diversifiant.  



Rousseau parle de la “machine vivante” des végétaux, que l'on cultive comme on éduque un enfant. C'est élevé, un vin ?
J.-C. C. : Un dicton affirme que le vin connaît tous les secrets de la terre. Si des extraterrestres devaient débarquer, c'est avec le vin que je leur présenterais notre planète. C'est la quintessence de la tradition, de notre histoire, de notre culture. Je ne leur en ferais pas trop boire, vous imaginez des extraterrestres ivres. C'est un produit de civilisation. On ne sera jamais assez reconnaissant à Jésus-Christ d'avoir dit : « ceci est mon sang. » C'est un acte et un slogan de propagande merveilleux.
F. M. : Nos prédécesseurs nous ont laissé deux mots, maturation et élevage. Le vin c'est à la fois la spiritualité et la drogue de l'Occident, c'est Jésus et Verlaine main dans la main. De cette communion, il nous reste que l'on ne boit pas seul. Les affres de l'avenir font que l'on récuse dans le vin le fait civilisateur. On veut faire des vins qui ne soient pas collés, pas filtrés, sales, chargés de bactéries, en portant le drapeau d'une nature qui serait plus sincère. La vie micro-biologique de mes sols est excellente, je pratique l'enherbement permanent. Je ne suis pas dogmatique, je traite si c'est nécessaire tout en étant attentif à l'équilibre écologique de mon vignoble. Ne perdons jamais de vue qu'il n'y a rien de moins naturel qu'un pied de vigne de qualité. Oui c'est un produit de civilisation, bien élevé.

Vous dénoncez souvent ce que vous appelez les “interdiseurs”.
J.-C. C. : Je suis frappé par le fait que notre pays est peuplé de groupes de petits juges qui prétendent interdire aux autres ce qui ne leur convient pas. Les associations fleurissent, elles prétendent influer sur les lois sans passer par les relais de la démocratie que sont les élus. C'est dangereux. On vient d'interdire les batailles de boules de neige en Belgique. Interdire de boire un verre de vin à la télévision est une absurdité. Pour le fils de vigneron que je suis, c'est extravagant, et pour l'homme de cinéma supprimer la pipe de Jacques Tati sur les affiches, c'est ridicule.
F. M. : Est-ce qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait des ivrognes ? On a le sentiment qu'ils n'ont plus le droit d'exister. Une société définit sa liberté par le fait qu'elle autorise les mendiants, les marginaux.
J.-C. C. : Dans mon village, il y avait un clochard accepté de tous qui vivait dans une cabane dont la porte branlante affichait une de ces images des années 30 représentant, marchant dans la lumière, un couple jeune et frais qui se détachait sur une grappe de raisin entourée du slogan : « Un repas sans vin est une journée sans soleil ». Aujourd'hui, on boit moins, mais mieux. Le vin est un sujet d'espoir, c'est une des rares choses dans le monde qui va mieux qu'avant. Il s'est amélioré partout. C'est une raison d'espérer, ce qu'on fait pour le vin, on doit pouvoir le faire pour le reste.

(On ouvre tertre-roteboeuf 2004)  

Qu'avez-vous voulu faire avec ce vin ?
F. M. : La première erreur du vigneron, c'est de se dire : « je vais faire le vin que je veux. » Et la première qualité, c'est de comprendre sa terre. Si je devais imposer ma volonté à mes vins, j'écraserais la sapidité de ses fruits. À moins d'être un trafiquant qui ajoute des aromates, je ne peux pas créer. La notion hérétique en matière de vin est celle du winemaker. Le vigneron n'est pas responsable des goûts de son vin. Je n'ai pas plus créé roc-de-cambes 2009 que tertre-roteboeuf 2004 et je dois signer mes bouteilles en tout petit en bas de l'étiquette.

Pour employer le langage cinématographique, jamais au-dessus du titre ?
J.-C. C. : Je comprends ça très bien. Le vigneron se met au service d'une terre, d'un cépage, mais ce n'est pas lui qui décide. C'est un peu la même chose dans mon métier. Comme un vigneron choisit le bon terrain, le bon cépage, nous devons choisir la bonne histoire et la bonne manière de la raconter. Les deux peuvent ne pas s'accorder. Quand on est un peu humble, l'expérience apprend que ce que l'on va écrire réservera toujours une surprise, toujours un imprévu, qui nous échappe heureusement.
F. M. : Il y a plus de vous dans vos scénarios que de moi dans mes vins. On dit « un scénario de Jean-Claude Carrière » et on dit « un tertre-rotebœuf 2004 ». J'aime ce vin car il vient de ce que l'on appelle une année difficile. Les tanins ont été attendris par la pluie et le fruit est d'une grande fraîcheur. Je soutiens que la culture occidentale aime la vie jusqu'à inventer la résurrection de la chair. Elle met en scène de manière perpétuelle le vin, sang du christ, transcendance pure et le vin paillard, des bacchanales, du plaisir de vivre.
J.-C. C. : Et presque infernal, qui conduit à l'ivresse. De toutes façons, je crois qu'il n'y a de vin ni au Paradis ni en Enfer. C'est un objet terrestre. Ah oui c'est bon, très bon ! C'est remarquablement fruité, très proche du raisin. Une fois, avec Buñuel, dans un musée du vin à Madrid, on a goûté un vin d’une jarre romaine trouvée dans une galère naufragée. Ça n'était plus du vin, c'était une sorte de pâte de résiné, avec un goût de vin et de miel à la fois. C'était très émouvant, un vin du premier siècle, le plus vieux que j'ai jamais goûté. L'un des premiers gestes des Espagnols quand ils ont débarqué au Mexique au XVIe siècle a été de planter de la vigne pour pouvoir célébrer la messe.

Quand vous ouvrez une bouteille de vin, qu'attendez-vous?
J.-C. C. : Il n'y a qu'un mot, le plaisir. Je me méfie beaucoup de la “littérature” à propos du vin. Quand c'est bon, c'est bon.
F. M. : Mon œnologue a dit un jour quelque chose d'assez joli : « on ne peut pas dire que l'on sorte grandi d'avoir goûté ce vin. » Quand c'est bon, on s'élève.

(On ouvre roc-de-cambes 2009) 

F. M. : Là j'ai choisi l'opposé. C'est la grâce d'un fruit de l'automne 2009. Les pluies d'été, puis le soleil, lui ont donné densité et saveurs de lumière.

Face à un vin réussi, est-on en présence d’un personnage?
J.-C. C. : À la Romanée-Conti, c'est particulièrement juste. Avec ses différents terroirs, Echézeaux, Saint-Vivant, Richebourg, La-Tâche, on a le sentiment d'une progression dans la noblesse des princes et l'on se demande jusqu'où cela peut aller. Avec la romanée-conti, on est auprès du souverain, elle arrive avec une aisance royale. Je pourrais les écrire, en faire des personnages d'une histoire, c'est tout-à-fait possible.
F. M. : C'est une vision qui m'est étrangère.
J.-C. C. : Ça n'est qu'un jeu.
F. M. : Oui. Un personnage, c'est un être de culture, d'histoire, Iphigénie, Andromaque, avec toute la complexité d'un être en société. Un vin, ce sont des sensations profondes à la fois animales et civilisées que l'on éprouve face à un fruit fermenté par les mains de l'homme. Le trouble de Phèdre face à Hippolyte, c'est un autre registre.
J.-C. C. : Pour continuer le jeu des personnages, Phèdre serait plutôt dans la peau d'un montrachet et Esther dans celle d'un chablis. Je n'aime pas quand on essaye d'attribuer à un vin des goûts de noisette, de fruits secs et caetera, c'est réducteur. Quand on cherche ça, on oublie le vin.
F. M. : Je suis un fanatique de Rembrandt, j'aurais aimé être son copain. La richesse de ce qu'il montre dans ses portraits est amoindrie par les descriptifs qui prétendent démonter, expliquer son génie. Ça réduit la création à un procédé.
J.-C. C. : Si on veut que des personnages soient vivants, il faut qu'ils aient un inconscient. Et cette part là, nous n'avons pas le droit de la connaître. Il arrive ainsi que des personnages fassent ou disent des choses qui nous choquent. Dans ce cas-là, je m'aperçois que c'est le personnage qui a raison. Si on veut lui forcer la main, ça ne marche pas. C'est un phénomènes des plus étranges que beaucoup d'écrivains ont remarqué. Flaubert dit dans ses lettres qu'il y a des réactions de Madame Bovary qu'il désapprouve. Le personnage s'appartient. Pirandello, lors d'une répétition, écouta longuement les remarques d'une actrice pointant les contradictions du personnage qu'elle incarnait et répondit cette phrase que je cite souvent : « mais pourquoi me parlez-vous de cela, moi je suis l'auteur. » C'est profondément juste. C'était à elle de trouver. Victor Hugo parlait de la “bouche d'ombre”, cette part mystérieuse qui nous échappe. Je me sens auteur de mes scénarios, mais avec la participation de mes personnages et du metteur en scène.

Récusez-vous le fait d'être l'auteur de vos vins ?
F. M. : C'est du côté de l'homme de l'art au sens du savoir faire praticien. Si le vigneron veut montrer qu'il est plus fort que les copains, les vins seront grossiers et puissants. S'il est contre la civilisation et considère que tout savoir-faire moderne est une manipulation, les vins seront rustiques, portant le flambeau d'une nature que l'homme n'aurait pas dévoyée. J'essaie de faire des vins extrêmement civilisés. Le vin est une substance violente et le paysan, au cours de l'histoire, a cherché le charnu. Pendant le séjour en barriques s'engage un processus évolutif somptueux de dégradation des saveurs prolongé par le vieillissement. Le vin raconte le temps qui passe et tout ça m'échappe, comme pour vos personnages. Et puis chaque année est troublante. Les primeurs sont l'occasion de mettre le vigneron dans la posture de l'énoncé d'un savoir supposé. Je ne sais pas vraiment ce qui s'est passé, que dire. On ne sait pas où ça va.

Et les vieux millésimes, ceux que l'on appelait le vin vieux ?
J.-C. C. : Les vins anciens me donnent le sentiment qu'ils sont venus des temps lointains jusqu'à moi, pour moi. Le vin de Rome ou cette romanée-conti 1922 que Aubert de Villaine m'a fait goûter participent de cette relation au temps.
F. M. : En présence d'un tableau du Moyen-Âge, j'ai l'impression d'un dialogue au présent, qu'il a attendu là tout ce temps pour me dire quelque chose du temps qui passe, quelque chose de lui, de son époque. Avec un vin ancien, ceux de la guerre, on a un peu ce sentiment.
J.-C. C. : Oui, 45 et 47. Avec ce 22, je buvais là un vin plus vieux que moi, né avant moi. En général on boit des vins plus jeunes que nous, avec un sentiment de supériorité, nous avons connu un monde et pas lui. Et puis cette surprise d'aller vers un vin qui a attendu dans l'ombre, « vais-je être choisi aujourd'hui ? », un peu comme une femme dans un harem. Votre vin, là, il n'est déjà plus le même, c'est ce vivant qui est beau. Comme disait Carmet : « en voilà un qui fait du bien aux gencives. » La question qui se pose est de savoir s’il vaut mieux boire seul, ou bien partager, un très bon vin ? Le plaisir solitaire du vin, installé devant une cheminée, c'est le vin méditatif.
F. M. (rires) : Vous savez que vous êtes profondément mécréant. Vous brisez un grand tabou, celui de la communion.
J.-C. C. : Attention, j'aime croiser le regard d'un ami qui boit le même vin que moi, c'est magnifique. Mais j'ai des souvenirs de grand vin dégusté seul.
F. M. : C'est de l'ordre du plaisir solitaire.
J.-C. C. (rires) : C'est vraiment de la masturbation oenologique, mais elle a son charme.

Propos recueillis par Jean-Luc Barde

À lire de Jean-Claude Carrière : Le Vin bourru, Plon 2000 Conversations avec Jean-Jacques Rousseau, Plon 2013
À boire de François Mitjavile : Un saint-émilion, château-tertre-rotebœuf, et un côtes-de-bourg, roc-de-cambes.

Les photos : sont signées Jean-Luc Barde
Une version raccourcie de cette conversation a été publiée dans Mes dimanches spécial Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche, le dimanche 16 juin 2013.

dimanche 16 juin 2013

Pendant que j'y pense #17

1 Une pétition. Encore. Parce que le gouvernement a commandé un rapport à un illuminé qui recommande plus de taxes sur le vin, l’interdiction de la communication du vin sur internet et deux ou trois joyeusetés du même ordre, c’est-à-dire une ode à l’abstinence, une fois de plus. Ces gens qui savent mieux que moi où est mon bonheur et comment vivre heureux me les brisent menu, pour dire les choses a minima. Une fois de plus, ces fatigants redressent la tête et re-déconnent à plein tube. Pourquoi ? Pour rien, juste garantir qu’en ces temps de disette budgétaire leurs allocs ne seront pas diminuées. Rien de tel qu’un appel au nom de la santé publique pour culpabiliser un gouvernement. Ça dure depuis vingt ans avec un égal bonheur quelle que soit la teinture politique (on ne peut pas parler de couleur, on ne peut plus).
Donc, signer la pétition est un devoir de résistance.
Plus d’infos bien écrites et le lien vers la pétition sur l’excellent blog de Louise Massaux, ici.



2 Ce matin, fraîcheur et soleil. Dimanche = JDD. Le JDD, c'est l’ami du café. Tout était réuni pour lire avec profit le supplément mensuel dédié cette semaine au vin et réalisé par nos soins. Très bonne conversation entre Jean-Claude Carrière (qu’on ne présente plus) et l’immense (son talent) François Mitjavile, l’auteur des fameux tertre-rotebœuf et roc-de-cambes, saint-émilion et côtes-de-bourg, deux vins à boire d’urgence si vous ne voulez pas rater votre vie.
Je m’intéresse deux secondes à Version Femina et à son excellent papier sur le bronzage, très bien illustré, quand quoi ? Ophélie Neiman en pleine poire au moment où je m’y attendais le moins, vu qu’on est dimanche.
Sujet sur les blogueuses du vin (les blogueurs, tout le monde s’en fout) (Jaloux, moi ? Pas du tout). Avec le mot du sociologue dont on se passerait volontiers et un petit encadré pour donner d'autres adresses de blogs. Il manque ce blog-là, celui qui neigeait des flocons verts, mais plus maintenant, mais quand même, très mignon. Comme blog. Sinon, pour du solide, lisez celui-là. Ou si le vin, c'est bon là, ne ratez pas ce blog-ci.
Bon, voilà. Miss GlouGlou dans mon café dès neuf heures du matin, ya pire comme dimanche.

3 Parmi tout ce qui a été débouché cette semaine, retenons :
- un merveilleux champagne Drappier 1976, tout enroulé dans ses saveurs miellées. André Drappier, auteur de ce vin, n’aime pas. Bon. Il n’aime pas les vieux champagnes, il n’aime que les jeunes. Champagnes, oui. Ben, fallait le boire à l’époque, André.
- un montravel que je ne connaissais pas, un 2004. Il s’appelle Jonc Blanc, le rubis. Très bon, ça. Évolution presque parfaite. Un bonheur à table.
- un château-du-moulin-à-vent 2010, cuvée Couvent des Thorins, pour un déjeuner de travail. Si. Le beaujolais en version haut niveau. Vous ne connaissez pas ? Ils en ont à la Closerie des Lilas. Faites comme moi, allez-y.
- un trévallon 05, mais blanc cette fois. Venu après un meursault plus expressif en bouche qu’au nez, ce trévallon blanc nous a séduit par son onctuosité et sa capacité à accompagner tout un dîner, tout seul comme un grand. Qu’il est.




samedi 15 juin 2013

Michel Bettane fait son Dubourdieu



C'est très à la mode, les dégustateurs goûtent des vins devant une caméra. Tout ceci au bénéfice de marques. Dans l'exercice, on a vu des blogueuses comme Isabelle Spiri et Sandrine Goeyvaerts ou des journalistes comme Karine Valentin.
Avec des bonheurs divers, elles ont expliqué au reste du monde pourquoi les vins qu'elles goûtaient là étaient achetables ou non.
Voilà maintenant que Michel Bettane et Thierry Desseauve font la même chose. Ils ont juste poussé le concept un peu plus loin. Ils sélectionnent les vins qui seront vendus par le nouveau site grandsvins-privés.com et ceci à l'issue de dégustations qui ont été filmées. C'est l'évier ou la télé, quoi.
Le bout de vidéo que je publie ci-dessus est ce qu'on appelle un teaser pour nous donner envie de voir les autres. Il se trouve que tous ces films sont drôles. Assez, en tous cas, pour mériter d'être vus.

Pour consulter le nouveau site, c'est ici
Un autre film avec Michel Bettane en larmes, c'est

Michel Bettane en larmes



La dégustation est un art décidément difficile.
Voilà que Michel Bettane s'étrangle en goûtant un vin rouge trop froid que du coup, il a pris pour un blanc, on comprend bien l'émotion soudaine.
C'est un autre des quatre teasers réalisés pour le nouveau site grandsvins-privés.com Et comme le précédent, on s'est bien marré en le regardant.




vendredi 14 juin 2013

Brimoncourt, nouveau bon champagne

Les naissances m’ont toujours beaucoup ému. Surtout si le nouveau-né est un vin. Sinon, moins. C’était Chante-Cocotte, il y a peu, un très beau bébé chez Monsieur et Madame Régis Franc, voir le faire-part ici. Quelques semaines plus tôt, Macàn, un nourrisson ambitieux, fruit d’une gestation à quatre mains entre les familles de Rothschild et Alvarez, une histoire moderne.
Autre région, autre vin.

Le nouveau


Un champagne est né. A champagne is born.
La marque, c’est Brimoncourt. Les deux garçons à l’origine de tout ceci sont très contents du bambin et nous aussi. Il faut dire que de belles et bonnes fées se sont penchées sur le berceau. Bref, on ne va pas lever le voile trop vite, mais déjà le champagne est bon.
Le premier modèle est un brut. Il s’appelle Brut Régence, ça l’a fait marrer Bettane, « Brut Régence de Brimoncourt », on ne se mouche pas du coude chez les nouveaux. En goûtant le vin, remarque, il a arrêté de rigoler, il a trouvé ça très bon, je peux même dire qu’il était surpris par le niveau de qualité de l’élaboration, il a parlé de chardonnays bien mûrs et de belle provenance et à la fin, il a lâché « C'est frais, gentiment dosé, facile à boire. Le reflet vert dénonce le chardonnay. Celui-là est de bonne qualité. Un vin apéritif très bien fait. C'est un bon champagne ».
Moi, je n’ai pas bu tous les champagnes du monde dans tous les millésimes depuis trente ans, je me contenterai d’un sobre, mais sincère « Putain, c’est bon, ce machin. Et pour le dosage, il a raison, Michel. » Donc, forcément, on s’intéresse.
Le site parle de « réponse à l’ennui ». Ah. C’est ennuyeux, tu ne peux en boire qu’avec une jolie qui ne sait pas lire ou qui n’a pas d’ordi ou qui ne connaît pas internet, ce qui limite le champ des possibles assez furieusement. Vu que si ce champagne est une réponse à l’ennui, tu peux en proposer à personne, en fait, au risque de te prendre un aller-retour pleine poire ou, pire, un commentaire un peu acide. Tu te dis que tout le monde s’en fout, que personne a été lire le site, tu te risques avec ta bouteille de Brimoncourt.
L’étiquette est avantageuse, on voit bien l’intention (chic) et l’inspiration (Bollinger). En y regardant de plus près, ya des trucs qui boîtent un peu, les typos sont pas en place, l’équilibre entre les lignes n’y est pas vraiment, de Reims ou d'Aÿ, c'est pas décidé. Comme t’es un type sympa, tu te dis dommage. Comme t’es un type pas sympa, tu te dis mais pourquoi ils font pas bosser les meilleurs de la planète pour faire leur étiquette, tu comprends pas. À la fin, tu t’en fous, c’est que des petits réglages de rien du tout, c’est pas ton bizness, le champagne est super-bon, c’est tout ce qui compte.
Et il y a le détail qu'on ne découvre qu'à l'ouverture. La collerette est noire à l'extérieur, mais la doublure de la collerette est rouge, comme ma veste Prada ou les Louboutin de Sandrine G.
So chic.

mercredi 12 juin 2013

On peut aussi parler du vin comme ça



L'âme du vin

Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles :
" Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j'éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d'un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l'espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content ;

J'allumerai les yeux de ta femme ravie ;
A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L'huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l'éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! "

Charles Baudelaire



Very special thanks to a girl called Georges

lundi 10 juin 2013

Colline de l'Hermitage, c'est gagné

L'Hermitage, c'est cette grosse colline couverte de vignes en restanques que le Rhône contourne.
Pour mieux comprendre, cliquez sur la photo pour l'agrandir


Même si on peut se demander pourquoi le simple bon sens ne prime jamais sur les idées idiotes, réjouissons-nous de l’issue heureuse de la grosse bagarre de l’été dernier autour du projet d’antenne géante sur la colline de l’Hermitage. Comme le montre le fac-similé du courrier du ministère (ci-dessous), les sites de la colline sont désormais classés interdisant de facto toute incongruité paysagère. D’antenne, nous n’entendrons plus parler.
Félicitons au passage tous ceux qui se sont mobilisés, les blogueurs, les quelques journalistes, les vignerons et, au première rang d’entre eux, Caroline Frey qui a porté ce combat avec détermination.
Ne nous endormons pas trop vite pour autant, ce genre de sottise peut émerger à tout moment. Nous savons des projets d’aménagement du territoire qui pourraient bien nous donner encore du fil à retordre pour défendre les vignobles et leurs paysages doucement civilisés. Par exemple, le projet de contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise qui menace les vignes de Condrieu et de Côte-Rôtie ou le super périphérique de Bordeaux qui veut du mal aux vignes du Sud-Médoc. On n’est pas couché.

Pour lire les détails de cette affaire, c’est ici, ici et là 



La photo : c'est Guillaume Puzo qui a pris cette photo très documentaire

dimanche 9 juin 2013

Pendant que j’y pense #16



Comtes-de-champagne rosés et verres de Philippe Jamesse
1 J’adore aller passer une journée dans un pressoir de la maison Taittinger. Non seulement on y est plutôt bien pour goûter des bonnes choses, mais aussi on y découvre des choses inattendues, c’est l’un des sports préférés de Pierre-Emmanuel Taittinger. Cette fois, ce n’était pas un très vieux magnum de comtes-de-champagne dégorgé à la volée à fond de crayère. Non, nous avons goûté de futurs vins. Comme vous ne l’ignorez pas, instruits que vous êtes, les grands champagnes passent des années en cave, huit à dix et plus, avant d’être mis sur le marché à la disposition de consommateurs ébahis. Ce jour-là, nous avons goûté des rosés qui attendent leur heure. Les millésimes à venir de 2006 à maintenant, soit quatre vins puisque seules les très belles années sont millésimées. La première question qui vient à l’esprit consiste à se demander pourquoi on attend autant puisque c’est déjà très bon. La réponse en évidence : pour que ce soit encore meilleur, banane. Ah oui, bien sûr.



2 Un cher ami qui vit dans la campagne autour de Bergerac m’a apporté avec des mines de conspirateur six bouteilles du désormais célèbre "Va te faire boire", une production de Mathias Marquet au Château Lestignac. L’heure a donc sonné. Il est temps que j’aille me faire boire. Bien sûr, je connais ce vin depuis un moment, je l’ai goûté avec un certain plaisir une fois ou deux, pas plus, jamais bu à table, là où il faut boire le vin. Déjà, j’ai décidé d’en boire deux d'ici quelques semaines et de mettre le solde à fond de cave, prochain rendez-vous dans deux ans, puis quatre, etc. On verra comment ça évolue. Si c’est bon, on en reparle.



3 Une journée à Figeac, c’est différent d’une journée dans un autre grand château. Le temps s’est arrêté à Figeac depuis un moment et il se trouve que la nouvelle génération de la famille Manoncourt, les filles du célèbre Thierry, a décidé de remonter les pendules, de ré-enclencher une vitesse, de monter au créneau. Avec Frédéric Faye, directeur technique promu DG et Valmy Nicolas (co-gérant de La Conseillante à Pomerol) dans les habits du consultant chic pour les questions commerciales et d’image. Quand on voit ce qu’il a réussi chez lui, on n’a pas trop de souci pour Figeac. Premier geste, retour de Figeac dans la partie abordable de la gamme des prix. Ce saint-émilion, qui aurait du être classé A depuis longtemps, arrive sur le marché des primeurs à 55 euros HT, prix public, et c’est peu de dire qu’il serait bien de s’en coller une caisse, même de six. Pourquoi ? À table, nous avons sifflé des magnums de 99, 89 et 59. C’est tellement bon, tellement frais (même le 59), si élégant et si suave qu’on comprend immédiatement qu’un figeac de bonne naissance fait un très grand vin quelques années plus tard et pour longtemps. Voilà pourquoi.



4 Pour finir sur un petit ricanement délicieux, j’ai vu passer cette semaine sur les réseaux sociaux, blogs, etc. un appel au boycott des grands crus classés. L’auteur de cet appel manqué est interviewé sur le blog d’Antonin qui adore les boycotts, on s’en souvient. Première question d’Antonin : « Ben pourquoi cet appel au boycott, dis Michel ? » Réponse de l’intéressé (à défaut d’être intéressant) : « J’ai du goût pour la provocation. » S’en suit une logorrhée vaine et pauvrement tournée à l’endroit des châteaux bordelais, coupables de tous les maux, les tempêtes, les impôts, les socialistes, Pâques aux tisons, etc.
Donc, en fait, cet appel au boycott de ce monsieur est motivé par la seule envie de faire parler de lui. Bon, c’est une méthode assez répandue sur les réseaux sociaux. Sauf que c’est raté. Comme le note Antonin avec beaucoup d’ingénuité : « l'appel au boycott n'a pas reçu d'écho à ce jour. » C’est le moins qu’on puisse dire, en effet. C'est beau comme une chanson de Brel, celle où il est question d'un type qui voudrait avoir l'air et qui a pas l'air du tout.
Pour tendre la main à ces garçons, par charité chrétienne, je fais donc l'écho.

samedi 8 juin 2013

Douze Italiens et un Espagnol

Vous, je ne sais pas, mais moi, quand je veux goûter de beaux vins italiens,
je suis les conseils de l’excellent importateur Jean-Emmanuel Simond, aussi journaliste et membre du comité de dégustation de la Revue du vin de France. Normal, c’est lui qui m’a fait découvrir il y a quelques temps déjà les vins de Foradori.
Il y a, sur ce créneau, quelques charlatans, lui et sa société Œnotropie n’en font pas partie.




Il avait rassemblé quelques-uns des très bons producteurs de la péninsule et de Sicile à l’étage de la Marguerite, un restaurant de la rue Berger. La seule liste des domaines présents donne le ton :
Sottimano et Roagna pour le Piémont
Tenuta di Valgiano pour la Toscane
Vaona et Ca’ dei Zago pour la Vénétie
Damidjan Podversic pour le Frioul
Camillo Donati pour l’Émilie-Romagne
Ocone pour la Campanie
Passopisciaro, Enza La Fauce, Cos et Serraghia pour la Sicile et Pantelleria.
Du lourd, du vrai, du grand. Mais une partie seulement des vins importés par Jean-Emmanuel.
J’ai retrouvé avec plaisir l’ami Giusto Occhipinti (Cos) et ses vins en amphores, Laura di Collobiano et ses toscans bio. J’ai rencontré Gabrio Bini, l’architecte milanais et bio-dynamiste de Pantelleria, goûté avec une certaine volupté les barbarescos de Roagna et de Sottimano, découvert les merveilleux blancs de Podversic. Que dire du passito de Bini ? Renversant ? C’est encore assez faible.



Mais la vraie surprise était ce modeste prosecco, l’une des appellations les plus décriées. Celui-là, Ca’ dei Zago, non dosé, est une merveille de légèreté. Et c’est très bon, même sans Apérol et sans en faire tout un spritz.
Cerise sur le gâteau, il y avait même un Espagnol du Priorat, tout au fond, Terroir Al Limit. Fine sélection, c’est très bon aussi. Lisez ici ce qu’en dit mon ami Antoine Petrus, le bien-nommé.
Pour finir, j’ai été raconté tout ça à Raffaella au restaurant Divinamente italiano. Elle m’a fait goûter L’Intruso, j’ai bien fait de passer. Il s’agit d’un rouge composé en majorité de lacrima del moro d’alba assemblé à du sangiovese et du montepulciano. Merveille de suavité, la finesse qui maîtrise bien une puissance certaine. Pour un prix serré, même au resto.

jeudi 6 juin 2013

La Co(o)rniche et les co(o)rnichons

Le site extraordinaire de la Co(o)rniche, au Pyla. En face, c'est le Cap Ferret.





Il y a des années que je me dis que la Co(o)rniche, c’est vraiment ze place to be, que je dois y aller vite, que j’en meurs d’envie, que le Pyla et son Bassin d'Arcachon sont la destination urgente. Il semble que je n’ai pas raison. Voici un témoignage tout chaud que m’adresse une de mes amies et que je livre sans en changer une virgule. Bon, une ou deux.

« La Co(o)rniche, le fameux hôtel restaurant qui appartient à un retraité du rugby et qui a été décoré par Starck himself - en voisin qui aime, quand il sort de chez lui, aller dans des endroits lookés comme chez lui, est donc, je reprends, un endroit magnifique - vu de l'extérieur - et catastrophique de l'intérieur. 
Nous étions plusieurs invités par un acteur majeur de la filière Vin & Spiritueux. Le directeur de cette société est arrivé avec des bouteilles à déguster en accord avec le menu qui avait été précédemment établi. Le sommelier lui a répondu qu'il finissait une commande et s'occuperait de lui après. Ce même sommelier était tellement occupé pendant le dîner que notre hôte s’est levé à plusieurs reprises pour servir les vins lui-même. 
Pour continuer dans le registre du service, passons par pertes et profits des serveuses aussi j’menfoutistes que maladroites. 
Parlons du fond. Et le fond d’un restaurant, c’est l’assiette. J'avais choisi comme entrée des asperges et j'ai vu arriver quatre pauvres choses, deux blanches et deux vertes avec un peu de jambon dessus. Pour suivre, j'avais choisi la brandade de morue et le filet de cabillaud emmailloté dans sa feuille verte, très joli mais immangeable au risque de se rendre malade. À la première fourchette de cabillaud, j'ai senti un affreux goût d’ammoniaque. Ne voulant pas faire d'esclandre, je n'ai rien dit jusqu'au moment ou j'ai glissé doucement mon avis à la serveuse qui m'enlevait mon assiette en disant : " vous êtes sûre d'avoir fini, Madame ? " À mon propos, elle n'a pas eu de réaction, ni plus tard d'ailleurs, ni le chef non plus, ni la direction encore moins. 
Au moment du dessert, notre hôte s'est plaint du mauvais service. Cela a eu un effet incroyable, nous n'avons plus revu ni serveuse, ni sommelier jusqu'à la fin du repas. C'est donc notre hôte qui a fini par se lever pour aller chercher et régler la belle addition à laquelle on avait pris garde de bien ajouter des droits de bouchon considérables. Une honte. 
Et, Starck ou pas, ce n'est vraiment pas un endroit recommandable et cet avis a fait l'unanimité autour de notre table. » 

Oui, c’est désolant. Un aussi beau spot gâché par une bande de cornichons. Ne perdons pas de vue que, dans un restaurant, un hôtel, le service est toujours l'exact reflet de la qualité du patron.
J’ai bien fait de ne pas y aller, tiens.
Merci, chère amie, pour ce papier à la TripAdvisor.


La photo : je l'ai trouvée sur le site de l'excellente Agence Fleurie. Cliquez sur la photo pour l'agrandir, ça vaut la peine

mardi 4 juin 2013

Un Luxembourgeois achète l'excellent L'Arrosée

Le chai de Château L'Arrosée


Le château L'Arrosée est sur le coteau à la sortie sud de Saint-Émilion. Cette propriété dispose d'une vue pénible sur de grands hangars moches qui font regretter l'intervention d'un grand architecte créatif (ceci pour relancer les débats).
C'est un vin superbe qui tient la dragée haute à beaucoup de monde depuis un bon moment. Acquis par la famille Caille, il est aujourd'hui repris par les domaines Clarence Dillon, propriété de Robert de Luxembourg. On connait mieux ses châteaux Haut-Brion et La Mission Haut-Brion.

Cette info est très fraîche, pas encore sèche, ne mettez pas les mains dessus, vous allez vous tacher. Dans l'immédiat, elle est à prendre au conditionnel avant confirmation des uns et des autres, une erreur de "compréhension" étant toujours possible.

Dernière minute
Pas d'erreur. La cession de L'Arrosée est confirmée par l'équipe de Robert de Luxembourg. Un communiqué a été envoyé cet après-midi, je le reproduis tel :

"5 Juin 2013. Les familles Caille et Dillon sont heureuses d’annoncer l’accord de vente et d’acquisition de Château l’Arrosée, Grand Cru Classé de Saint-Emilion.
La famille Dillon se réjouit de continuer l’excellent travail effectué dans ce vignoble par Mr Roger Caille et sa famille depuis leur arrivée dans ce vignoble exceptionnel en 2002.
La promesse fut signée le 29 mai dernier par la famille Caille et Prince Robert de Luxembourg, Président de Quintus SAS. Quintus SAS est une filiale de la société familiale Domaine Clarence Dillon (Château Haut-Brion et Château La Mission Haut-Brion), et détient et exploite le vignoble voisin, Château Quintus à Saint-Emilion."


lundi 3 juin 2013

Yquem 2012 existe, je l’ai rencontré

Pierre Lurton, le célèbre patron du château d’Yquem, a décidé de ne pas millésimer yquem 2012, faute « d’excellence ». Dans la foulée, Rieussec et quelques autres ont fait de même.
C’était sans compter sur la sagacité de quelques fins limiers du Net et, particulièrement, de l’inénarrable équipe de 1855. Elle annonce sur son site la disponibilité prochaine d’yquem 2012. C’est fort, c’est très fort. Je suis sûr qu’il y a quelques gogos qui attendent anxieusement l’annonce d’un prix pour se jeter dessus.
Cela dit, le peu de vin produit par Yquem et déclassé a du atterrir quelque part, chez un négociant tenu au secret quant à la provenance de son vin. Yquem 2012 existe bien, mais où ? Pas chez 1855, en tous cas.
C’est l’équipe de LPV qui a débusqué l’histoire. Bravo, les gars.
Ci-dessous, une capture d’écran qui montre l’offre.


Pour une lecture facilitée, cliquez sur cette capture d'écran, elle apparaîtra en grand



Plus d'infos sur cette fine équipe, ici et

Mise à jour, lundi à 16:00
Et voilà que Yquem s'en mêle d'un tweet spirituel :


Je recommande sur le même sujet la lecture du blog de Vincent Pousson, clairement intitulé : "Les cons, ça ose tout…" .

Mise à jour, mercredi à 18:00
Thierry Desseauve, patron de l'entreprise qui m'emploie a reçu ce qui suit et me demande de le publier. Dont acte. Même si le titre de l'article incriminé est celui du site du quotidien Sud-Ouest… Ce n'est pas grave, un envoi de mails groupés est si vite parti.

« Paris, mercredi 5 juin 2013
Objet : Droit de réponse.
Lettre AR.
Monsieur,
Vous avez fait paraître sur votre site internet le 4 juin 2013 dans le site internet de « mybettanedesseauve.fr » un article intitulé reprenant « Le site 1855.com vend un Château Yquem 2012, un vin qui n'existe pas ».
La société 1855, que je représente, tiens à exercer un droit de réponse dans les conditions prévues par l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881. Le texte du droit de réponse est le suivant :
« Droit de réponse de la société 1855
Suite à l’article paru sur votre site internet, la société 1855 tient à préciser les points suivants. 1855 n’a jamais mis en vente le château d’Yquem 2012 : aucun prix de vente n’a jamais été annoncé, aucune possibilité d’acheter ce produit n’a été proposée au client, et bien évidemment, aucune bouteille n’a été vendue. Seule la possibilité de se tenir informé en cas de disponibilité était accessible à nos clients. 1855 regrette vivement que votre collaborateur n’ait pas souhaité contacter l’entreprise préalablement à la parution de son article, cette erreur de compréhension aurait été facilement évitée ».
Je vous remercie, conformément aux dispositions précitées, de bien vouloir faire paraître ce droit de réponse de manière intégrale, sans omission ni ajout, à la même place et en mêmes caractères que l’article que vous avez publié. Cette parution devra intervenir dans le numéro qui suivra le surlendemain de la réception de la présente lettre.
Sincères salutations,
Emeric Sauty de Chalon
Président »



dimanche 2 juin 2013

Le salon de vins le plus "alter" du monde



Ouvrir la journée belle comme un dimanche d’hiver par une visite au salon Rue89 finement intitulé « Sous les pavés, la vigne » au cas où on n’aurait pas compris le propos. Disons que les clous sont faits pour être enfoncés. C’est annoncé comme s’il s’agissait d'une révolution en marche. Mais bon, jouons le jeu d'Antonin, le blogueur-organisateur de ce salon, très détendu pour un organisateur.
C’est à la Bellevilloise tout en haut de Ménilmontant. Y retrouver quelques copains. Croiser Benoît Tarlant, le Champenois connecté. Goûter deux ou trois choses, certaines excellentes comme ce sauvignon des Côtes de la Molière d’Isabelle Perraud. Pour un sauvignon 100%, belle surprise, ça ne ressemble vraiment pas à du sauvignon. Rassurons-nous, il y a un peu de soufre à la mise, très peu, mais assez. Cela dit, si elle fait partie des gens qui jouent avec le feu, elle s'en sort en général très bien. J'avais déjà goûté un excellent rouge de chez elle, lire ici.
Goûter aussi les bons vins de Denis et Valérie Godelu, le domaine des Trois Petiotes, sur la Rive droite. Du bordeaux comme on aimerait en boire plus souvent, propre, bien fait, belle palette aromatique, gentiment persistant. Chez eux, la surprise, c’est « En attendant Suzie », une petite cuvée de 600 bouteilles entièrement tricotée à la main par Valérie et c'est très bon.



Voilà, rien d’autre, il est 10 heures du matin, une envie de café plutôt que de passer en revue les 45 vignerons présents. Beau succès, soit dit en passant, pour une première édition.
Pour finir, faire des emplettes chez Olivier Techer (Château Gombaude-Guillot, à Pomerol), de très beaux 2011 à boire dans longtemps et des 96 qui n’attendaient que moi. Et repartir avec mon verre Riedel marqué du logo du blog d’Antonin, l’agaçant, exagéré et bien fait No wine is innocent. Ce verre est un collector et ça me donne envie d’en faire graver d'autres du logo BonVivant, mais bon, je ne vais pas organiser un salon pour ça.
Le salon d'Antonin est ouvert cet après-midi et demain, lundi. Allez-y, ça vaut le détour. 

samedi 1 juin 2013

Pendant que j’y pense #15



1 Moi, j’aime le sémillon. Dit comme ça, c’est un peu niais tant le cépage ne vaut que par la terre où il pousse et le bonhomme ou, dans ce cas, la fille qui en fait du vin. Quand même, le sauvignon et ses mauvais nez de pipi de chat ne vaudra jamais, à mes yeux, la ronde élégance du sémillon. Je sais des amis vignerons qui s’étouffent en lisant ça. Continuons courageusement. Le sémillon quand il est bien accordé à du sauvignon blanc et gris fait de grandes bouteilles. C’est le cas avec ce château-thieuley 2008, un bordeaux simplement générique, assemblage de sémillon et de sauvignons à parts égales. Il a fait merveille sur un poulet de la veille accommodé en « restes ». Les restes en bonne compagnie sont le secret du bonheur domestique.



2 Le blanc de blancs 2005 de Philipponnat est une altitude champenoise. Le savoir. S’en souvenir. Il a toutes les qualités aériennes du blanc de blancs, sans la légèreté éthérée, inconsistante qu’on rencontre souvent dans cette exécution typiquement Côtes des Blancs. C’est encore un vin, pas encore un nuage. C’est sympa, parfois, un nuage. Mais là, j’empoigne un verre de vin, c’est pas mal aussi. Il a accompagné le seul joli soir du printemps. Depuis, rien. La météo n’est pas un sujet de conversation, mais il y a des enchaînements qui exagèrent.



3 Passage au hasard chez l’excellent caviste Legrand, rue de la Banque à Paris. Là, Gérard Sibourd-Baudry, le patron de Legrand, a tiré un bouchon pour fêter son anniversaire avec l’équipe de ses collaborateurs-trices. « Tiens, Nicolas, goûte-moi ça et dis-nous ce que c’est. » Le vieux piège. L’effervescence est calmée en pétillance, il y a une matière incroyable et des arômes à moi inconnus. Je dis que c’est un vieux champagne à cause de la couleur, et voilà, je n’irai pas au-delà, je n’en sais pas plus. Erreur, c’est un très vieux champagne pol-roger 1949, en magnum. Mazette, ils sont bien traités les collaborateurs de Gérard.



4 Déjeuner au bord d’un joli jardin, au Relais du Parc, avenue Raymond-Poincaré. Je dis au bord, parce que la pluie en interdisait l’accès. Patron du restaurant sympathique et direct, il m’explique qu’il est copain avec un vigneron « génial », forcément. Donc, choisir le vin du copain génial. Un lussac-saint-émilion 2010 du Château Haut-Jamard. Furieusement trop jeune, il a bien accompagné un menu régressif, coquillettes-jambon blanc-truffe et trois petits burgers. C’est rigolo, sans autre. La jeune fille qui m’accompagnait était ravie, elle a 18 ans sûrement. Régressif, vous dis-je.



5 Grandiose déjeuner chez Ledoyen, six à table, petit salon à l’étage. Ledoyen, c’est le pavillon qui est le pendant de celui du Laurent, de l’autre côté de l’avenue des Champs-Élysées. En tous points semblables, ils se départagent avec un détail crucial, celui qui manque à Ledoyen, celui qui fait le succès du Laurent, l’ambiance. Nous étions réunis pour goûter les mises récentes de Méo-Camuzet, le grand faiseur de Vosne-Romanée qui en compte tant. Mais, à table, on goûte des choses qui ont un peu plus de bouteille, justement. Et, parmi celles-ci l’extraordinaire cros-parantoux 2002. La grande race, l’extrême complexité, la longueur. Il est sur le podium des très grands bourgognes et nous, silencieux, recueillis, nimbé d’un bonheur au fond très simple.



6 Ce qu’il y a de bien avec Basile Tesseron et sa femme, c’est qu’ils font très exactement ce qu’ils veulent avec beaucoup de candeur et une belle joie de vivre. Et comme ils sont drôles et sympathiques, ça marche à tous les coups. Là, la fine blague, c’est le restaurant Sergent recruteur, dans l’île Saint-Louis, un machin à la mode où j’allais pour la quatrième fois, dont trois en traînant les pieds. Oublions. Nous avons commencé avec un larrivaux 09, l’une des bonnes affaires du Médoc, à moins de dix euros. Puis, nous avons goûté des lafon-rochet en verticale de quelques millésimes, dont un 89 épatant que j’avoue avoir sifflé sans grande modération. Ces grands bordeaux de plus de vingt ans valent même de déjeuner n’importe où.



7 Verticale de dix millésimes des pessac-léognan du Château Pape-Clément. Bonne occasion de vérifier que les grands terroirs de mieux en mieux menés donnent des vins de plus en plus ébouriffants. Moi, mon best of, il est sur la photo. 90 et 95. On a fini les deux bouteilles à table (c'était ça ou l'évier) en se disant qu’on avait une chance folle. Vous découvrirez la vidéo de cette dégustation sur MyBettaneDesseauve.fr dans les plus brefs délais.