Qu’est-ce qu’une icône ? Dans le monde si particulier du vin, c’est bien plus qu’une image pieuse. C’est un homme ou une femme qui concentre sur sa tête un si grand nombre de qualités qu’il ne viendrait à l’idée de personne de critiquer son travail. C’est un vigneron qui réussit à faire à la fois le mieux et le plus cher, c’est l’indiscutable, le modèle, l’envié. En France, nous en comptons quelques-uns. Aubert de Villaine est un exemple parfait. Son romanée-conti et ses autres vins forcent l’admiration de ceux qui ont eu la chance d’y goûter. Chacun s’accordera facilement sur son nom. En Italie, Angelo Gaja en est un autre. En Espagne, c’est Pablo Alvares et son vega-sicilia. Et en Californie, Bill Harlan dispute le titre à Paul Draper, autre grand homme, le pionnier, dont l’apparition remonte à 1971 avec un premier grand montebello qui avait bouleversé le monde (du vin) lors du Jugement de Paris, en 1976.
Bill Harlan, lui, a lancé l’aventure de Harlan Estate en 1984, dans la célèbre Napa Valley, à Oakville, 17 hectares de vignes plantées dans un domaine qui en compte 110, où forêts et vergers contribuent à alimenter une biodiversité poussée à l’extrême et que Bill a toujours appelé de ses vœux : « Il se trouve qu’une conscience environnementale va bien avec la beauté des lieux, mais pas seulement. Forêts et vignes se conjuguent pour donner du caractère au fruit. Il se retrouve dans le vin. »
Comme la plupart des new-comers du vin, Bill Harlan a fait fortune ailleurs avant de consacrer son énergie et son argent au développement d’un beau vignoble. Lui, il était un professionnel de l’immobilier, il l’est toujours. Il confesse volontiers que son vignoble coûte très cher : « Nous n’avons pas les mêmes caractéristiques qu’en Europe. Faire un grand vin ici est un engagement, un jeu très fort. Pour mettre le plus de chances de notre côté, nous devons être très sérieux. » Il est très lucide, en plus.
Un jour, Mondavi lui a demandé d’aller pour lui aux Hospices de Beaune acheter du vin aux enchères. Nous étions à la fin des années 70. Bill Harlan venait d’acquérir un petit vignoble, mu par ce qu’il appelle « l’idée romantique de faire du vin » et c’est au cours de ce voyage sur les côtes de Beaune et celle de Nuits que tout a changé. « L’idée romantique s’est transformée en une vision très claire. » Il a cherché le terroir qui ressemblait à ses rêves les plus fous et il l’a trouvé. Des collines pentues et des forêts denses, toutes les expositions au soleil, un sous-sol parfait à ses yeux.
Depuis 1989, il s’est assuré la collaboration du flying winemaker français et célèbre, Michel Rolland. Son premier millésime est un 1990 qui attendra 1996 pour être lancé, « Il m’aura fallu douze ans entre l’acquisition de la terre et la mise sur le marché d’un vin qui porte mon nom. » C’est beaucoup d’exigence et cette volonté, il avoue qu’elle a été entretenue par ses nombreux voyages en Bourgogne, un vignoble qui constitue à ses yeux l’alpha et l’omega de la viticulture d’excellence. Pourtant, les millésimes 1990 à 1997 étaient des assemblages basés sur le cabernet-sauvignon (en Bourgogne, c’est du pinot noir) et depuis 1998, son vin est 100 % cabernet-sauvignon.
Aujourd’hui, les plus grands critiques de vin placent les 24 000 bouteilles annuelles du grand vin de Harlan Estate dans le Top Ten mondial. Il en est peut-être content, mais il ne le dit pas. Il a ce côté très américain qui consiste à trouver normal que le succès accompagne l’engagement quand il est bien mené. S’il a connu une réussite certaine dans son premier métier, il voit dans cette vocation tardive de vigneron quelque chose comme l’expression de la maturité : « Avant, je ne pensais jamais à demain. Puis, le temps passant, on se met à vouloir du sens, de la profondeur. Avec ma vigne, ma perception du temps s’est totalement transformée. Les choses se mettent à ralentir, j’ai commencé à travailler pour un futur lointain, j’ai voulu créer quelque chose de plus grand que moi. Si on ne fait jamais vraiment ce qu’on veut, on peut s’appuyer sur une culture pour porter des valeurs à partir desquelles ce que vous faites pourra continuer et sans doute, en évoluant. On ne sait jamais ce qui est vrai et peu importe, on peut juste sentir ce qu’on peut faire et ne pas faire. » La suite de Bill s’appelle Will. C’est son fils, il a 25 ans. Il ne se vit pas comme un héritier tout désigné et réfléchit beaucoup à la meilleure façon de succéder à son icône de père : « Je commence seulement à comprendre et à réaliser d’où je viens et ce qui a été accompli par mon père. Je veux apporter quelque chose à cette histoire, pas seulement reprendre ce truc comme si c’était une évidence. Je crois que j’ai plus à prouver à moi-même qu’à mon père. »
Harlan Estate continuera comme il a commencé, dans le travail, l’exigence, la réflexion. Et une certaine discrétion bienvenue.
Bill Harlan produit deux cuvées. Un grand vin, Harlan Estate, et un second vin, The Maiden. Ces vins sont vendus à la bourguignonne selon un système d’allocations et sur liste d’attente. Les prix sont très élevés et, à la revente encore bien plus (jusqu’à 2 000 dollars le col). Pour information, une verticale de dix millésimes en magnums du domaine a atteint l’an dernier le score stratosphérique de 700 000 dollars lors d’une vente aux enchères dans la Napa Valley.
Les photos : Bill Harlan à la Villa d'Este à l'occasion du 3e World Wine Symposium, aussi connu sous le nom de Davos du vin. Photos Armand Borlant, novembre 2011.
Pour avoir aussi visiter la propriété (architecture superbe de simplicité, bois et pierres), et pour avoir discuter sur ses projets, l'homme a un sens rare des affaires et, comme tous les grands californiens, un besoin permanent de défendre un rang (classé "premier cru" par la revue FINE avec 4 autres crus dont Ara&ujo) essentiel à tous points de vue.
RépondreSupprimerIl déborde de projets neufs, comme cette vente de pieds de vigne à des investisseurs du monde entier qui viennent poser leurs sueurs en travaillant leurs vignes comme les peones du coin ! Lesuccès de cette initiative ( à côté de l'hôtel qu'il a construit en partenariat) a dépassé ses plus folles estimations : comme quoi, un grand nom, ça joue !
Imaginez un seul instant Rousseau, DRC, Lalou, Coche proposer à des amateurs d'investir avec eux, de travailler la vigne ad libitum, et d'être remboursés en vin !
Le fiston, qui était aussi venu au WWS a cette chance extraordinaire d'être resté simple, modeste, et à l'écoute des autres. Bien éduqué. Il ira loin.
Rappelons que Bill Harlan, dans sa jeune vie, a traversé toute l'Afrique à moto et a fait d'autres choses affolant complètement ses parents et amis. Une conjugaison parfaite du rêve et de l'efficacité redoutable de l'homme d'affaires. Un cas, c'est sûr !
Petite précision:
RépondreSupprimer1998 est un 100% cabernet sauvignon, cette année n'avait pas été propice au merlot, mais pas du tout.
Sur les autres années le vin contient toujours, et même après 98, une quantité minoritaire de merlot.
Ce n'est pas ce que j'avais compris lors de notre entretien, mais bon, nobody's perfect…
SupprimerVous auriez pu rajouter nothing, vu que wikipedia avance la même chose que vous. J'ai alors douté..
SupprimerJe me suis donc renseigné au domaine et voici la réponse: "As for our wine: the 1998 is our only 100% Cabernet Sauvignon vintage; all of our other vintages are a blend of Cabernet Sauvignon, Merlot, Cabernet Franc, and Petit Verdot."
Donc, vous me recommandez de perfectionner mon anglais. Je vais le faire.
SupprimerJ'ai acheté une bouteille de Harlan Estate 2008 il y a 15 jours à San Francisco, 149 dollars. Elle va maintenant dormir quelques années dans ma cave, aux côtés de l'Opus One du même millésimé, acheté lui à la propriété (210 dollars).
RépondreSupprimerJe vais essayer d'en faire autant à Los Angeles
SupprimerBonjour, vous l'avez achetée où si c'est pas indiscret. Impossible d'en trouver à ce prix là...
RépondreSupprimerMerci
À mon humble avis, 149 dollars, c'est le second vin de Harlan Estates, mais je peux me tromper...
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