Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



vendredi 12 novembre 2010

Le Davos du vin, les détails


Un dégustateur et un universitaire, Michel Bettane et Jean-Robert Pitte, devisent légèrement sur la balustrade qui longe le lac, le regard perdu dans le décor. Où il est question de république et de démocratie, leurs mérites respectifs et contradictoires, et le vin décrit comme une geste artistique. On n’est pas n’importe où et la conversation a du contenu. Ils viennent d’inventer la République de la Villa d’Este, ils le disent, ils en rient pour dire qu’il ne faut pas exagérer, l’humilité est une vertu. Ils ont raison, pourtant, et il n’y a pas de quoi rire.
Là, à l’invitation de François Mauss, aussi président du Grand jury européen, se sont rassemblées deux cents personnes parmi les plus influentes du monde du vin. Bien sûr, il en manque. Il faut dire qu’on est pleine vinification des rouges à Bordeaux et en Bourgogne et en Champagne et partout, aussi en Italie et en Espagne. Pourtant certains sont là et, comme par hasard, ce ne sont pas les plus mauvais. Noblet de la Romanée-Conti, Vauthier d’Ausone, Hervet de Faiveley, Rouzaud de Roederer, de Boüard d’Angelus et les Decelle, Rousseau, Mortet (le fils, bien sûr), Sylvain Pitiot du Clos de Tart, etc. Il y a des grands négociants (Develay de Mälher-Besse en particulier), des gens de liège et de chêne (Taransaud, Seguin-Moreau), Laurent Vialette, l'expert des vieux millésimes, drôle et insolent, avec ses inventions (verres et gestionnaire de cave). Il y a la crème des dégustateurs du monde entier. Il y a même un consultant-star en la personne de Stéphane Derenoncourt. Le meilleur monde. C’est la deuxième édition et, à l’évidence, c’est l’endroit où il fallait être, vinif ou pas, en ce début de novembre. Du matin tôt jusqu’au soir, des conférenciers passionnent leurs alter-egos malgré la douceur du temps et ce soleil d’un automne radieux qui fait briller les eaux du lac et les yeux des photographes. Le lac de Côme est un gros fleuve sans courant, en forme de V, d’une centaine de kilomètres de long. A la hauteur de la Villa d’Este, il n’est pas large du tout, moins que la Gironde à Pontet-Canet, moins que le lac d’Annecy à Veyrier. Quand le soleil passe les montagnes en fin d’après-midi, le lac prend une teinte nouvelle, un vert profond, un poil laiteux, d’une élégance folle, qui ferait merveille dans le nuancier d’un Farrow & Ball. On est au tournant de novembre et le soir est frais. On passerait des heures dans le parc vide à considérer cette grosse flaque molle et les lumières de la rive d’en face ; on ne le fera pas, pas le moment de pointer à l’infirmerie avec tout ce qui nous attend. L’endroit est ravissant, tout simplement, il n’incite pas à la concentration travailleuse. Et pourtant. Dans les salles de réunion, on se dispute les dernières chaises, les traductrices simultanées n’en ratent pas une miette, les bras se lèvent pour demander le micro et la parole, les commentaires vont bon train, c’est passionnant. Bettane ouvre les hostilités avec une brillante causerie sur les nécessités réglementaires pour que nos vignerons puissent continuer à faire des grands vins au lieu de passer leur vie à noircir des liasses d’imprimés administratifs. On parlera aussi de la Chine et de ses perspectives, des problèmes de bouchage et de la tonnellerie, le professeur Khayat a fait le point sur les rapports entre le vin et la santé. Pitte, en familier des grands amphis, sait tenir son auditoire comme personne et déclenchera un tonnerre d’applaudissements en expliquant ce qu’il faut dire aux jeunes pour leur apprendre la consommation responsable, parce que « La beauté invite à la responsabilité ». Derenoncourt témoignera de son expérience des vins étrangers et des rapports que les vignerons d'ailleurs entretiennent avec les référents et Hubert de Boüard mettra le pied dans la porte avec sa conférence sur le rôle de la marque par rapport à l’AOC dans le commerce des grands vins, provoquant ainsi quelques réactions d’humeur qui montrent à quel point il a raison. Pendant les récrés, certains vont se promener en bateau sur le lac, le long des belles propriétés, une forme de tourisme immobilier, en quelque sorte. George Clooney n’a pas fait autre chose avant de s’installer là. D’autres visitent le parc de la Villa d’Este, c'est Bernard Magrez qui promène le long des allées son élégance inoxydable. L’homme le plus puissant de Bordeaux songe sûrement à sa prochaine acquisition, son 37e domaine. Il a une idée, ça se voit, je ne vous la dirai pas. Dans l’hôtel, les groupes se forment, on débriefe les conférences de la journée. Tout ceci est très courtois, on a l’enthousiasme tenu dans le mondovino, mais les yeux brillent et les sourires sont vastes. Olivier Decelle, d’ordinaire assez taiseux est en grande conversation avec des experts asiatiques, mais d’où ?
Il y a eu aussi une dégustation extrême. Les sept crus de la Romanée-Conti et les neuf grands de Bordeaux dans le millésime 1990. Un moment rare, où les certitudes sont ébranlées. Certes, nous avions affaire aux plus grands vins du monde, mais tous n’avaient pas fait ce voyage de vingt ans en business class et, à l’arrivée, il y avait des espaces entre les uns et les autres. Si le maître de chai du Domaine de la Romanée-Conti expliquait d’un air modeste que ses vins avaient encore trente ans devant eux, il n’en était pas de même de certains des premiers crus de Bordeaux. Un dégustateur américain rappelle que les vins récents de ces mêmes domaines sont bien meilleurs aujourd’hui qu’il y a vingt ans, sur quoi tout le monde s’accorde. Dans un premier temps, cette dégustation se fait à l’aveugle. Puis, François Mauss annonce qui est qui. La romanée-conti était dans le verre n° 6, j’avais bon. Bien sûr, tout regoûter en sachant qui est qui. Ce qui change tout. Quand on goûte petrus et qu’on ne le sait pas, comment dire ? Il n’a pas le même goût, pas tout-à-fait. Inutile de faire comme si, de faire le savant, l’affranchi, ce n’est pas pareil et voilà tout. Tenir de tels propos est un peu iconoclaste, mais tout le monde n’est pas tombé dedans quand il était petit. On va me mépriser encore une fois, mais bon, j'apprends.
En tout cas, pour l’assistance recueillie, il y avait un objet de trop lors de ces dégustations d’anthologie : le crachoir. Pour les avoir inspectés un à un à l’issue des débats, j’affirme qu’ils n’ont pas beaucoup servi, voire pas du tout. On peut comprendre le secret – et fou – désir qui hante les uns et les autres d’assimiler vraiment un demi-verre d’yquem, de la romanée ou d’ausone, de se savoir constitué de quelques gouttes de ces vins rares, d’en être le récipiendaire définitif. Peut-être même certains sentent-ils pour de vrai une variation dans l’intensité du sang qui coule dans leurs veines, heureux rêveurs.
La photo : le lac de Côme depuis la Villa d'Este, photographié par Mathieu Garçon

2 commentaires:

  1. quel beau moment pour un iconoclaste...

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  2. C'est comme si on y était à nouveau. L'éternel retour ! Merci Nicolas pour cette belle description. J'adore l'élégance inoxydable de l'homme le plus puissant de Bordeaux. On pourrait aussi parler de son regard, qu'il darde soudain sur son interlocuteur, comme s'il allait lui fouiller l'âme. J'ai cette image d'une table de très jeunes gens, s'interrompant de manger, pour l'écouter. Car son regard impérieux disait : soit vous m'écoutez, soit vous passez à autre chose !

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