Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 14 février 2023

Caroline Frey n'arrête jamais (+ un scoop)

Caroline Frey photographiée tout en haut de la colline de l'Hermitage

 


 

Vous faites votre première vinification chez Denis Dubourdieu en 2002. Deux ans plus tard, vous prenez les commandes d’un grand cru classé en haut-médoc, le château La Lagune. Quel est votre état d’esprit à ce moment-là ?

Avec le recul, je me dis que j’étais complètement inconsciente. J’étais jeune, je n’ai pas réalisé les enjeux, c’est sûrement pour ça que tout s’est très bien passé. L’enthousiasme avait pris le pas sur le reste. J’ai géré les vinifications de A à Z, ce ne sont que d’excellents souvenirs. Denis Dubourdieu, qui savait ce qui m’attendait, m’avait bien préparé à cette prise de fonctions. Il consultait pour La Lagune à ce moment-là.

En 2006, votre père acquiert Paul Jaboulet Aîné. Avec seulement deux ans d’expérience et en plus du château La Lagune, vous dirigez ce grand négociant du Rhône avec un patrimoine de vignes important.

En arrivant au pied de la colline de l’Hermitage, j’ai ressenti une certaine intimidation, j’étais mieux consciente de l’enjeu qu’en 2004. Un univers de vignes et de cépages dont j’ignorais tout. Comme toujours, j’étais motivée par l’envie de bien faire, de me rapprocher des vignerons locaux, l’écoute et le respect. Les changements n’ont jamais été rapides ou brutaux, je préfère laisser le temps. Je n’étais pas seule, j’ai toujours gardé le lien avec Denis et il m’a rejoint dès le début.

Pourtant Denis Dubourdieu n’a pas été très bien accueilli sur les collines de l’Hermitage.

Oui. À l’époque, on nous reprochait de faire des syrahs trop bordelaises. Je me rappelle même ce que Michel Bettane, sur une de ses vidéos de dégustation, avait dit de notre hermitage : « C’est merveilleux, il y a presque cette classe bordelaise ». Sans doute, mais un très grand vin n’a pas vraiment de frontière. Denis le savait et m’a appris ce qu’est un très grand vin. À partir du moment où j’ai eu cet objectif, je savais où j’allais et c’était bien plus facile de chercher cette excellence.

En 2013, je me souviens que vous aviez reçu Jancis Robinson et qu’elle avait commis dans le Financial Times un article désagréable sur la-chapelle. Vous m’aviez accordé une interview pour lui répondre. Vous ne compreniez pas la manière dont elle envisageait la-chapelle, vous aviez le sentiment qu’un changement de style s’était doucement opéré d’un millésime à l’autre. Et pas elle.

C’est vrai. Je suis habituée à ce genre de situation, maintenant. Ça arrive, rien de grave. Cela fait un certain nombre d’années que je suis là, je m’approprie ce terroir, je déguste régulièrement les vieux millésimes, je m’imprègne de ce vin, de ce terroir, de cet univers et, tous les ans, je cherche le petit détail pour faire toujours mieux. Discuter du rendu pour des questions de goût, je peux le comprendre. Mais on ne peut pas me reprocher de ne pas tout faire pour la-chapelle. J’ai un gros degré d’exigence et je pense être une des personnes qui connaît le mieux ce vin et ce terroir. J’y consacre ma vie. Ce vin est le projet de ma vie.

À propos d’exigence, je me souviens que vous n’aviez pas millésimé 2008. Il n’était pas à la hauteur d’excellence que vous voulez pour cette cuvée.

Oui. Aujourd’hui, nous sommes très respectueux de ce terroir. Moi, je n’ai pas eu besoin de faire une demande d’irrigation malgré l’intensité de la sécheresse en 2022. Nous travaillons en biodynamie depuis un moment, pas sur les raisins de négoce, c’est impossible, mais sur l’ensemble de notre vignoble. Nous sommes sans cesse en train d’apprendre. Cette philosophie de la biodynamie me plaît, elle s’attache aux sols et aux plantes, c’est-à-dire sur le travail en amont avant de devoir intervenir mécaniquement. Cette approche fonctionne ; vous auriez dû voir Le Méal (une parcelle de l’Hermitage, NDLR) cette année : la vigne y est belle et verdoyante alors que c’est une parcelle plantée sur un coteau de cailloux plein sud et qu’elle a subi cette année une chaleur infernale sans une goutte d’eau. Les raisins sont beaux et pas flétris – une preuve que l’on commence à comprendre comment faire fonctionner le terroir à son optimum.

Quelques années plus tard, en 2015, vous arrivez en Bourgogne.

Et comme à chaque fois que j’ai changé de région, je suis arrivée avec une étiquette.  Aucune importance, je sais où je veux aller et je cherche une fois de plus à faire ce qu’il y a de mieux. Il y avait beaucoup de travail, la vigne n’avait pas été très travaillée et il fallait remettre une partie du vignoble en ordre. Sur les sept hectares dont nous disposons, nous avons dû replanter l’équivalent d’un hectare. C’est considérable et cela prend du temps ; il ne faut pas être pressé.

Parlez-moi de votre jardin secret dans le Valais. D’où vous est venue cette idée folle ?

J’y ai fait mon premier millésime en 2016. J’avais besoin de retrouver cette proximité avec la vigne. Les choses, mon travail, ont beaucoup évolué depuis mes débuts à La Lagune. Je ne peux plus ouvrir et fermer la cave tous les jours comme je le faisais à Bordeaux. Il y a aussi Jaboulet et Corton. Je ne peux plus assurer toute la partie représentation et commerciale qui est gérée par une équipe qui s’en occupe très bien. Je travaille quotidiennement avec mes équipes techniques, mais le vignoble a pris une dimension qui a complètement bousculé mon rapport à la vigne et au vin, et j’avais besoin de me dire que j’allais retailler, et faire tous ces travaux inhérents à la vigne. Et puis il y a la petite arvine. Denis aimait beaucoup ce cépage, on en buvait ensemble et il en parlait comme un des plus grands cépages au monde. Dans un des derniers échanges que nous avons eus, il m’a félicité pour ce courage que j’avais de tout reprendre à zéro. Ce même courage m’a permis de me rapprocher énormément de mes équipes. Seule sur ma montagne, je peux faire des tests et trouver ce qu’il y a de mieux pour mes raisins. Ainsi, le fait d’essayer de nouvelles techniques me permet d’avoir des réponses aux questions et des solutions pour la mise en œuvre. Je suis venue au vin parce que j’aime être dehors, travailler la terre, me promener en forêt, courir en montagne. Ces choses me constituent, cette vigne me permet de m’y retrouver.

Cela fait 18 ans que vous produisez les vins de grands vignobles, vous êtes encore très jeune. Ça va durer longtemps ? Vous allez faire du vin toute votre vie ?

J’ai bien l’impression, oui. Je ne peux pas imaginer de mon vivant qu’il y ait un millésime à La Lagune, à Corton ou à La Chapelle qui me soit étranger.

Un projet de plus à venir ?

C’est possible. Un projet affectif. La magie des réseaux sociaux permet aussi de belles rencontres et c’est ainsi que j’ai discuté avec un historien du vin du Val d’Aoste. J’ai encore de la famille là-bas, et je sais que mon arrière-arrière-grand-père y avait un restaurant ainsi qu’une vigne. En tant qu’historien, il a accès aux archives. Il me propose d’effectuer des recherches. C’était la famille Joris qui était en fait assez connue et avait eu un tas de médailles, ce qui faisait d’eux une famille de vignerons assez réputée à l’époque. Nous sommes en train de creuser un peu plus cette histoire et nous cherchons à retrouver l’emplacement des vignes. Je vais bientôt aller dans le Val d’Aoste et, bien sûr, si nous trouvons la vigne de l’arrière-arrière-grand-père, je ne résisterai pas. En plus, c’est un très beau terroir pour le nebbiolo. Encore un cépage à découvrir.

 

Cet entretien a été publié dans le supplément vin du JDD, fin 2022, sous une forme différente. La photo est signée Mathieu Garçon.

2 commentaires:

  1. Quelle femme d'exception et quelles magnifiques réussites sur La Lagune et Jaboulet !

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  2. Je ne peux pas croire que Château la Lagune soit le vrai auteur de ce commentaire inutile

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