Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 12 décembre 2022

Le détail fait le style

Jeune encore, déjà riche dune immense expérience de chef de caves dans plusieurs grandes maisons, Dominique Demarville dirige aujourd'hui les champagnes Lallier, marque récemment acquise par le groupe Campari. Nul autre nest plus légitime pour expliquer comment se crée la signature dune marque.
Nous l
avons rencontré et hop, interview

 

Parlez-nous de vous
Je suis né en 1967 dans les Ardennes. En octobre 1985, Jean-Marc Charpentier me propose de venir faire les vendanges dans son domaine de Charly-sur-Marne. J’y vais avec l’envie de travailler avec un ami et j’en ressors passionné par ces vignes champenoises. J’oriente mes études vers un BTS viticulture-œnologie à Avize jusqu’en 1987, que je complète d’un diplôme national d’œnologie à Dijon. Retour en Champagne pour mon service militaire en 1990 et réalise mes premières vendanges en tant que salarié en 1991 chez Philippe Gonet. A la suite du décès de son mari, Denise Gonet me fait confiance pour la rejoindre sur l’exploitation avant que son fils Pierre ne reprenne les rênes. À son retour, j’intègre une autre maison de champagne, Bauget-Jouette, en tant que chef de cave. J’y reste un an avant de rejoindre la maison Mumm en 1994. Ils me proposent un poste de responsable cuverie et tirage aux côtés du chef de cave Pierre-Yves Harang. Lorsqu’il prend sa retraite en 1998, je deviens chef de cave et j’ai l’opportunité de participer au lancement de très belles cuvées : R. Lalou, Mumm de Verzenay et une cuvée grand cru. Jean-Marie Barrière me confie en 2003 l’ensemble de la responsabilité vigne et vin du groupe Mumm – Perrier-Jouët. Puis arrive un moment émouvant, je m’en souviens comme si c’était hier – le 23 décembre 2005, précisément – celui où je croise Jacques Peters qui commençait à penser à sa succession. Il m’avait déjà dit à plusieurs reprises qu’il souhaiterait me parler à ce moment-là. Je revois Jacques et lui confirme que je souhaite le rejoindre chez Veuve-Clicquot, chose faite en juin 2006. Une transmission s’organise alors pendant deux ans et demi, je rencontre les responsables des approvisionnements, les clients, toutes ces relations que Jacques a construites pendant 20 ans. Une période importante qui m’a permis de créer un bon relationnel avant son départ de la maison, le 31 mars 2009, à la date prévue à mon arrivée. Je prends sa suite en tant que chef de cave, en essayant de faire au mieux pour rester fidèle au style de la maison tout en prenant la liberté de retravailler certaines cuvées – la Grande Dame afin de l’orienter un peu plus vers le pinot noir – et d’en créer de nouvelles : l’Extra-Brut, l’Extra-Old. Michel Fauconnet me sollicite ensuite pour le rejoindre chez Laurent-Perrier, ce que je fais en janvier 2020. Un an plus tard, le 18 janvier 2021, je rejoins finalement la maison Lallier avec un beau projet adossé au groupe Campari. Son président Lucas Garavoglia, amoureux de la Champagne, souhaitait depuis plusieurs années acquérir une maison de champagne. Il m’a ainsi nommé directeur général et chef de cave pour m’occuper de sa nouvelle acquisition.

 

La maison Lallier ?
La maison existe depuis 1906. Elle s’est réellement développée depuis l’arrivée de Francis Tribaut en 2004. Preuve en est de la production, multipliée par dix en 15 ans ; alors qu’on ne sortait que 60 000 bouteilles en 2004, on en vend aujourd’hui 600 000. Le travail des vins s’est aussi largement amélioré, la philosophie est présente et les racines de chaque vin sont bien définie. Des fondations solides qui nous assurent une belle notoriété. La marque manque seulement un peu d’image. Il faut maintenant nous concentrer sur la reconnaissance du nom Lallier et sur la valorisation du travail et du style de nos vins.

 

Comment définissez-vous ce style ?
Il existe et se manifeste au travers du terroir et du savoir-faire de vinification de la maison. Nous avons la chance d’avoir ce sol de craie et un climat idéal pour donner aux vins fraîcheur et pureté. Concernant la vinification, on ne s’interdit rien : il y a des années avec fermentation malolactique et d’autres sans, on peut utiliser le bois ou bien l’inox. Tout ceci pour avoir un maximum de profondeur et surtout pour nous adapter à la nature et à son climat, qui évolue chaque année. Une approche complètement différente de chez Veuve-Clicquot où le vin est dominé par le pinot noir et par les vins de réserve.

 

Concrètement, comment cela se traduit-il à la dégustation ?
Je vais commencer par nos deux parcellaires. La cuvée Loridon et le blanc de blancs. Ils sont tous deux constitués à 100 % de chardonnay. La cuvée Loridon contient les vins d’une seule année et n’est pas encore millésimé. Nous avons préféré nous concentrer sur la reconnaissance de cette parcelle crayeuse qu’est Loridon. La production est microscopique, confidentielle, seulement 2 à 3 000 bouteilles par an, réservée à une cible de grands amateurs, de connaisseurs de champagne. Le blanc de blancs est plus classique, toujours très charnu, avec un dosage de huit grammes par litre. Il témoigne d’une grande pureté avec un côté aérien, très droit, assez épaulé.
Notre Grand Rosé est constitué pour 2/3 de pinot noir et 1/3 de chardonnay. Ces raisins proviennent exclusivement de parcelles en grand cru, avec les rouges de Bouzy qui apportent une grande fraîcheur et dont les tannins amènent subtilement des amers positifs.
Le dernier né de notre gamme Réflexion, R.019, contient une majorité de vins de l’année 2019 qui est une des grandes années de ce début de siècle ; on pourra la compter dans l’arène des 2002, 2008 et 2012. Elle est vieillie pendant trois ans. Sur cette cuvée, nous n’avons cependant pas la sécurité des vins de réserve ; son essence même est de capturer les caractéristiques d’une seule récolte. Alors quand celle-ci n’est pas bonne, on s’autorise à ne pas faire de Réflexion comme ce fut le cas en 2017, par exemple.
La cuvée Ouvrage est un grand cru extra-brut issu de l’assemblage de deux parcelles. Il est vieilli sur lies en bouteille pendant cinq ans. Nous avons une grande ambition pour cette cuvée. Un de mes premiers objectifs est de donner plus de temps au vieillissement, pour atteindre les sept ou huit années. L’idée est également de le millésimer puisqu’il est issu d’une seule et même récolte. Il est proposé en bouteille, en magnum et, pour la première fois cette année, en jéroboam. Le prix de la bouteille tourne aujourd’hui autour des 90 euros mais une fois tous ces projets mis en place nous la vendrons 120 euros. C’est pour moi, incontestablement, plus un vin de champagne qu’un champagne.
Notre blanc de noirs Les Sous, 100 % pinot noir, est issu d’une parcelle ainsi nommée parce que les raisins se trouvent sous le bois, en haut de coteau. Cet emplacement offre au vin un côté frais et croquant, les parcelles y sont plus fraîches. Les pinots noirs y ont une maturité plus tardive.
Le second blanc de noirs provient lui de terroirs à Aÿ et à Verzy et Verzenay. Le premier pour le côté charnu et puissant, le second pour son mordant et son saillant, typique d’un climat un peu plus froid. Ce vin est épicé, poivré avec un dosage de huit grammes par litre.

 

Toute cette gamme a-t-elle été étendue par rapport à l’ancienne gouvernance ?
Non, au contraire, je l’ai plutôt resserrée, surtout au niveau du brut sans année. Il y avait deux cuvées de brut sans année chez Lallier : la grande réserve et la série R. Avec l’arrivée du Groupe Campari, nous avons préféré nous recentrer sur une seule cuvée pour rendre la gamme plus cohérente. Nous avons décidé de ne garder que la cuvée la plus originale, celle qui présente le plus haut niveau de qualité, la série R, renommée Réflexion. C’est un brut sans année qui n’est pas classique puisque chaque tirage porte les caractéristiques du millésime. Nous avons cependant une seconde cuvée signature qui n’est pas un brut sans année, la cuvée Ouvrage. Comme je vous l’ai dit, nous avons beaucoup d’ambition pour cette cuvée, dont celle d’assembler à chaque fois les deux meilleures parcelles pour en faire un millésime chaque année.

 

Directeur général et de chef de cave, vous avez une liberté de décision totale
En effet, ce titre me donne un double avantage. Mon rôle de directeur général me permet d’avoir de l’autonomie dans la gestion, de la rapidité dans les prises de décision et de la flexibilité dans le fonctionnement. Tout cela en conservant mon poste de chef de cave qui me permet de rester proche de mon métier originel. J’ai réalisé mes premiers assemblages en 2021 avec la récolte de 2020 donc « mes » champagnes ne sont pas encore sortis. Pour l’instant, je gère seulement le bel héritage de Francis Tribaut.

 

Que conservez-vous de cet héritage ?
Il y a trois domaines sur lesquels je souhaite m’appuyer et qu’il me semble nécessaire de garder. D’abord, nous avons du raisin d’Aÿ dans chacune de nos cuvées, c’est un bel hommage au village sur lequel nous sommes implantés en plus d’être une garantie de qualité. Conserver ensuite cette proximité et cette écoute de la nature qui nous offre la liberté de ne rien nous interdire dans la vinification. Par exemple en 2021. Les raisins présentaient un taux élevé d’acidité, nous avons envoyé 90 % de nos vins en fermentation malolactique. Au contraire, 2022 fut une vendange très chaude et solaire, et seuls 70 % de nos vins sont partis en fermentation malolactique. Cette agilité nous permet de rester au plus près de ce que la nature nous offre. Enfin, la signature de nos vins est cette nature pleine de fraicheur et de pureté, garante d’un style Lallier que je souhaite perpétuer.

 

Des pistes de développement ?
J’aimerais aller plus loin dans la découverte des terroirs, oser sortir des sentiers battus et m’aventurer sur de nouvelles parcelles. Aller plus loin dans le vieillissement, également. Le temps fait partie de l’élégance et de la richesse d’un vin de Champagne.

 

Vous ne pensez donc pas qu’il y ait en champagne, comme ailleurs, un goût de plus en plus marqué pour les vins plus récents ?
Si, bien sûr. 90 % de nos ventes concernent le blanc de blancs, le rosé et la gamme Réflexion. Ce sont tous trois des champagnes frais, aériens et c’est ce qui fait le succès du champagne aujourd’hui. Les champagnes vieillis restent dans la cour des grands amateurs. Émile Peynaud disait en effet qu’un grand terroir s’exprime avec le temps. Il avait raison, les vieux champagnes sont toujours très bons et plein de surprises. Toutefois, il est très rare d’avoir la chance de boire des champagnes de 20 ou 30 ans.

 

Vous évoquez la possibilité d’embouteiller dans un futur proche une cuvée dite « de prestige ». En quoi va-t-elle se distinguer des autres cuvées de même ambition ?
C’est devenu indispensable en Champagne. Francis Tribaut avait donc commencé à y réfléchir et a réservé en cave quelques millésimes dans un flacon spécial. Elle sera millésimée – c’est très important pour ce type de cuvée – et basée sur un esprit de terroir avec une concentration sur les villages d’Aÿ et de la Côte des Blancs. Nous les avons choisis pour leurs sols très crayeux afin d’avoir dans nos vins une double approche. Verticale sur la fraîcheur, horizontale sur l’intensité. Avant tout, nous irons chercher le côté aérien et cristallin d’un grand vin de champagne.

 

Vos vins sont pour la plupart issus d’un seul millésime. Cela veut-il dire que vous n’avez pas assez de vin de réserve ou bien c’est un choix délibéré pour coller à l’année et la mettre en valeur ?
Un peu des deux. Nous avons des vins de réserve, ils vont venir agrémenter et peaufiner l’assemblage du brut sans année mais dans des très petites proportions, au maximum 30 %. Ensuite, toute une série de vins dans la gamme sera à termes millésimée. Aujourd’hui elles ne le sont pas par choix, nous préférons nous focaliser sur la parcelle. Mais chaque année est différente et nous voulons exprimer cette différence au travers du millésime.

 

Votre ambition pour la maison est-elle de développer la production ou de conserver un rythme plus lent, adapté à vos capacités d’approvisionnement ?
La capacité de production en Champagne est directement liée à l’approvisionnement. Le défi est donc de trouver avec les vignerons le bon niveau d’approvisionnement pour créer un réseau de personnes qui ont l’envie de travailler avec nous. Il faut ensuite que la machine fonctionne côté distribution. Sur ce point, Campari a les ressources, les capacités et le savoir-faire nécessaires. Nous pouvons choisir le rythme de production qui nous convient le mieux. Pour ce mariage entre Lallier en Champagne et Campari, nous préférons donc garder un rythme qui nous permet de conserver notre niveau qualitatif et notre identité.

 

Vous nous avez beaucoup parlé de nature. Êtes-vous proche d’une viticulture qui se veut plus durable ?
Il y a deux aspects dans le mot nature, il n’en faut oublier aucun. Il y a d’abord ce qu’elle nous offre, le style et le climat – ces choses avec lesquelles nous devons nous adapter. Il y a surtout cette notion de respect incontournable d’un point de vue éthique pour qu’elle continue à nous donner de belles choses. On ne pourra jamais dompter la nature, le respect lui laisse le temps de nous donner ce qu’elle a de mieux. Chez Lallier, je souhaiterais avancer sur deux grandes directions. La première concerne le sol qui est tout simplement là où les racines puisent leur énergie et expriment la minéralité aussi bien que la salinité. Ensuite, je veux laisser la biodiversité s’exprimer. La vigne est devenue une monoculture un peu partout, on en voit les limites aujourd’hui. Il est donc important de faire un pas en arrière en gardant à l’esprit que la vigne est prioritaire. Depuis que je suis arrivé, nous créons des îlots de biodiversité autour de nos sites de production.

 

Je m’aperçois que vous ne nous avez pas parlé de votre passage chez Laurent-Perrier
Joker.

 

Merci Dominique. Cette non-réponse dit tout.

 

Dominique Demarville photographié dans les caves
des champagnes Lallier par Mathieu Garçon



 

 

 

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