Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mercredi 21 avril 2021

L’addition, s’il vous plaît

 

Les restaurants sont fermés depuis si longtemps, trop longtemps. Le manque qui creuse. Des plus petits caboulots aux plus grands étoilés, le plaisir ordinaire du « partage et de la convivialité », comme disent les banals, fait gravement défaut. À un point tel qu’on ne sait plus vraiment si cette mesure d’exception devenue la norme a encore un sens. Je ne m’engagerais pas sur la remise en question périlleuse des décisions sanitaires du gouvernement et de ses multiples antennes. Comme d’autres, je ne suis sûr ni de la réalité de mon diplôme d’immunologiste ni de mes compétences de Président de la République. Je passe mon tour avec un gros soupir de lassitude, on entend tout et le contraire de tout, c'est épuisant. Je pense tous les jours à ceux que j’aime, à leur avenir, à la suite de leur aventure. Comment sortir de là ? Dans quel état allons-nous les retrouver ? Vont-ils seulement réussir à surmonter l’épreuve ? Nous, déjà, nous avons du mal à nous passer d’eux, peuvent-ils se passer de nous ? Certains, en pure perte, se sont levés avec vigueur contre le traitement qui leur est réservé, nous les soutenons du fond du cœur avec l’impatience des retrouvailles sans cesse reportées. Et nous saluons leur courage et leur implication. D’autres ont ouverts, « pour les amis » et puis, ils se sont faits plus prudents devant les menaces proférées à leur encontre par le ministre des punitions. Et je ne parle pas de lhistrion grotesque qui a bien failli faire vaciller le régime.
J’ai testé un étoilé clandestin. Nous étions trois, une seule table dans le restaurant désert. Il y avait le chef et quatre de ses collaborateurs, deux en cuisine, deux en salle, pour un déjeuner épatant, beaux produits et préparations talentueuses, et pour une addition microscopique, moins de 300 euros à trois. Où l’on voit bien que ce n’est pas le chiffre d’affaires qui guide les pas de ces audacieux, mais l’envie de cuisiner, de recevoir des clients, de faire comme si. Une sorte de 3615 J’EXISTE, pour faire référence à cette fine blague de Valérie Lemercier, il y a trente ans. Dans un registre voisin, il y a le plateau-repas en carton (oui, le repas en carton aussi) dans une chambre d’hôtel rejointe avant 18 heures. La plus luxueuse des suites ne s’en relève pas.

Et il y a le reste. Les vignerons, les éleveurs, les maraîchers, les agriculteurs de toute nature pour qui les restaurants sont à la fois une source de revenus importante et l’occasion d’une notoriété parfois indispensable. Pour le vin, le restaurant est souvent l’occasion de découvertes qu’on n’aurait pas faites sans eux. Bien sûr, le public trouve son compte dans cette catastrophe multi-latérale. Je pense aux truffes, la merveilleuse melanosporum, dont les prix ne décollent pas, aubaine pour le particulier même dans une année généreuse en la matière. Je pense aussi à certains vins proposés par leurs auteurs à des prix barrés sur les e-boutiques des domaines, juste pour redresser une trésorerie défaillante. Tout ceci est très bien, tout ceci n’est pas sain. Plus que jamais, la restauration à tous les étages du luxe, les cafés, les bars (et aussi les cinoches, les théâtres, les spectacles en tous genres) ont pris une dimension qu’à force d’habitude, nous avions oublié. Ils sont une culture, un art de vivre à la française qui nous collent à l’identité (l'identité française, elle) et qui, aujourd’hui, nous font défaut. Et je n’entre pas dans le spectre épouvantable du chômage collatéral, des vies qui se délitent peu à peu, cette économie écroulée, toute cette nuisance en marche qui n’a pas fini de laisser des traces. Même si je veux croire qu’aux premiers indices de réouverture, les réservations vont pleuvoir et qu’on peut espérer qu’après cette période douloureuse, une autre, euphorique, va se dessiner en forme de bouée de sauvetage.

Alors, oui, donnez-nous l’addition, s’il vous plaît. Celle qu’autrefois on nommait « la douloureuse », justement, on la veut, on l’appelle, rendez-la nous. Au lieu de douloureuse, la voilà désirée. Ça change tout. Ouvrez les restaurants, je veux des frites de bistrot, la pasta de Gabriele*, le risotto de Franck*, la tatin de cèpes de Guy*, le talent de la sommellerie du Laurent*. L’affreux anglicisme click & collect ne suffit plus.

 

Fermé

 

 

*Gabriele Muti (Uncino, rue La Bruyère, Paris 9), Franck Potier Sodaro (Sormani, rue du Général Lanrezac, Paris 17), Guy Savoy (La Monnaie de Paris, quai Conti, Paris 6), le Laurent (avenue Gabriel, Paris 8).

Photo Hicham Abou Raad

Cet éditorial a été publié dans le numéro 22 de EnMagnum sous une forme différente.

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