Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



vendredi 26 septembre 2014

Les terrasses de Lavaux, première fois


 

Avoir enfin vu et parcouru les terrasses de Lavaux, ce plaisir. C’est un coteau très escarpé à l’est de Lausanne, très forte déclivité taillée en petites terrasses (un peu) moins pentues et divisé en tranches par des rails de funiculaire qui servent aux vignerons à monter et descendre leurs outils. Là, la plupart des traitements se font en hélico, c’est moins coûteux que le travail manuel sur ce coteau impossible. Les vignes de Lavaux se divisent en huit appellations, dont Dézaley, la plus connue, le grand cru.



On y fait surtout pousser du chasselas de cuve et l’un des propriétaires de parcelles y a aussi installé un conservatoire de cépages qui comptent une grosse douzaine de variétés de chasselas, donc. Chaque mini-rang nous apprend le nom de la variété, des noms simples qui disent quelque chose sur le cépage. Ainsi
« giclet » parce qu’à la pression, le jus gicle de la baie ou « fendant » parce qu’elle se fend.



Cet homme, 80 ans aux fraises, est un néo-vigneron qui fourmille de projets. D’une vie passée de juriste, il a gardé les idées claires et un certain sens de ce qui doit être. Il s’appelle Louis-Philippe Bovard, c'est lui le conservatoire du chasselas. Chez les Bovard, comme chez les Latour de Beaune, on se prénomme Louis ou Louis-Machin, d’une génération sur l’autre, c’est pratique pour incarner l’étiquette. C’est une ancienne signature du coteau surtout connue pour son Médinette, la cuvée la plus expressive des chasselas, bien sûr.



De ce coteau qui plonge dans le Léman, on voit très bien la côte française et le Mont-Blanc, c’est de la viticulture de montagne avec l’avantage de la grande flaque d’eau qui joue un rôle de régulateur thermique très opportun. Ce jour-là, fin d’été douce et ensoleillée, tout est en place pour comprendre ce mythique Lavaux. Nous y passerons des heures.



Plus tard, le soir même à l’occasion d’un dîner plus-que-parfait dans le nouveau restaurant d’Anne-Sophie Pic au Beau-Rivage Palace à Lausanne, nous goûterons des chasselas de dix et quinze ans, un vieillissement harmonieux comme une vieille dame émouvante à force d’être toujours gracieuse, miel et tilleul, noisette. On regardera le soir tomber dans le lac, plus loin à l’ouest, du côté de Genève, en se disant que ce vin blanc est à sa place dans un registre de plaisirs raffinés qui colle bien à la gastronomie aimante et précise du Beau-Rivage powered by Anne-Sophie Pic. Ce très grand palace de 170 chambres et ses annexes sont amarrés au bord du lac depuis plus de 150 ans, mais en remontrerait à plus d’un établissement dernier cri. À la cave, notamment, gérée par le sommelier Thibaut Panas, meilleur sommelier de Suisse 2014, originaire de Troyes. Là, 75 000 bouteilles très finement choisies attendent leur heure. Surprise, pas un grand bordeaux postérieur à 2003 à la carte. Les millésimes plus récents ont droit à dix ans de vieillissement au moins dans les caves de l’hôtel, sorte de Fort-Knox très bien organisé. Sur cette somme de flacons, Thibaut Panas consacre le tiers aux vins suisses, dont 15 000 aux seuls vins vaudois, le canton dont dépend Lausanne et le Lavaux. De la belle ouvrage. Intelligemment, le Beau-Rivage a inscrit les Terrasses de Lavaux au nombre des excursions et des découvertes proposées à la clientèle.



Le lendemain, visite au Domaine de la Colombe mené par Raymond Paccot, autre gloire locale, autre type charmant. Lui, il n’est pas à Lavaux, mais sur la Côte, pente douce qui ondule jusqu'au lac et vaste groupement d’appellations à l’ouest de Lausanne parmi lesquelles Féchy, dont Paccot sort le plus beau des chasselas, cépage décidément très identitaire. C’est un chercheur, un vigneron agité, sympathique et détendu, qui travaille ses sols et réfléchit avec le couple Bourguignon pour connaître encore mieux ses terroirs, un très bon qui réalise en particulier une cuvée pour et avec l’ami Jacques Perrin, caviste voisin, philosophe, alpiniste et dégustateur émérite au sein du Grand jury européen (son blog, ici). Cette cuvée rouge sobrement baptisée « Exception », il en sort 800 bouteilles exclusivement réservée à Jacques, c’est un vin racé et frais, épatant, j’en ai une bouteille, elle va vieillir longtemps avant que je l’ouvre. La voilà avant le grand plongeon à fond de cave.



Avec Paccot, la conversation roule sur la viticulture suisse. « On fait ce qu’on veut » affirme-t-il pour me faire comprendre que les contraintes imposées par les appellations laissent le champ libre à l’expression personnelle de chaque vigneron. Ici, une grosse cinquantaine de cépages autorisés, liberté de taille, d’écartement, etc. Quelque chose entre l’hyper-permissivité des appellations US et l’étouffement réglementaire qui prévaut en France (à ce propos affligeant, lisez ça). Plus tard, il évoquera les droits de succession très faibles en Suisse qui permettent aux familles de conserver leurs terres assurant ainsi la fixation d’une activité rurale, pérenne et dynastique. Sur les 18 hectares de son domaine, il en a converti douze à la bio-dynamie, « une viticulture de riches » précise-t-il. Provocateur, il affirme : « Je ne l’ai pas fait pour l’environnement, je trouve que ça fait des vins meilleurs. » Et pour faire rire le Français qu’il a en face de lui dans sa cave, il ajoute « Ici, je ne connais que des Français riches, ils sont tous là. » Suit une liste de noms connus sur laquelle je préfère garder mes commentaires par devers moi jusqu'en 2017 au moins. Surtout quand on vous explique que la politique suisse est un peu ennuyeuse et que « heureusement qu’on a la télé française pour rigoler. » Dit avec l'accent suisse, c'est très agaçant.


Les photos : mon NiPhone sauf celle de Dézaley signée Nasty Nastasia

6 commentaires:

  1. Ah ! Ah ! Ah !
    Sacré Toi !
    Tu vois de quoi je veux parler.
    ;o)

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  2. Mais si, voyons : le dernier paragraphe et surtout les deux dernières phrases.

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  3. Présentation pleine de charme pour ce beau vignoble qui n'est qu'un "mouchoir de poche", je m'empresse d'ajouter au patrimoine mondial de l'UNESCO parmi les 9 biens à caractère essentiellement viticole dès 2007 (sur un total de tous les biens 1'007 - état 2014) !
    Réjouissons-nous d'y accueillir au plus vite les Climats de Bourgogne.
    Article traitant de ces biens viticoles :
    Patrimoine mondial de l'UNESCO à caractère viticole
    Lien : http://www.cepdivin.org/articles/phmargot017.html

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  4. Cher Monsieur,
    Tandis qu’ici les vendanges battent leur plein, je découvre vos lignes et me rappelle avec grand plaisir votre passage sur nos terres ; ce fut l’occasion d’échanges enrichissants autour d’un sujet qui nous anime et nous passionne tous, le vin. Bien que le domaine soit vaste, et mérite d’être traité sous ses plus divers aspects, je dois avouer, tout de même, un léger regret : que votre article traite moins des vins produits sur nos terres que du contexte politique et économique que vous prêtez à notre contrée.
    Je reste un peu sur ma faim, et un peu surpris aussi : je me découvre dans vos ligne sous un jour que je ne crois pas avoir présenté, et dans lequel je ne me reconnais pas. Je respecte mes vins autant que mes clients, et je suis heureux de compter parmi ceux-là certains de vos compatriotes, preuve que le vin efface les frontières et unit les cultures. Ne pourrait-il en être de même du journalisme viticole ? Imaginez combien grande aurait été ma fierté, si la Côte était apparue dans vos lignes riche de ses crus, plutôt que du patrimoine de certains de ses habitants ! J’y consacre pour ma part tous mes efforts.
    Enfin, j’aurais voulu être l’ambassadeur des vins et des terroirs de ma région ; votre article me laisse la curieuse impression d’avoir été surtout celui de ses valeurs économiques. Je crois, j’espère sincèrement, que nos crus méritent d’être présentés sous un autre jour. Ne voyez cependant pas ici autre chose que la réaction d’un vigneron sincère, trouvant là l’occasion de continuer une discussion à laquelle j’ai pris grand intérêt et plaisir. Si vos pas vous ramènent dans notre région, vous trouverez la cave grand ouverte !
    Quant à nous, l'équipe du domaine, nous suivrons la suite de vos pérégrinations et aventures sur votre blog : à défaut de commentateurs impartiaux, vous avez au moins gagné de nouveaux lecteurs.
    Cordialement,
    Raymond Paccot

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  5. L'accent vaudois, Nicolas, l'accent vaudois :) Un chouette article qui montre, sur la fin, la difficulté de s'en tenir au vin quand on parle de l'Helvétie vue de France. Mais l'essentiel, c'est d'en parler, n'est-ce pas Raymond ?

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