Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 11 janvier 2011

Lascombes, léoville-poyferré et mouton, meilleurs 2005


Ils sont une petite vingtaine réunis dans un salon du Laurent, mythique restaurant des jardins des Champs-Elysées. L’ambiance est studieuse. Chacun a devant lui dix-neuf verres à moitié pleins. Ils sont les dégustateurs du Grand jury européen, ils goûtent à l’aveugle, c’est-à-dire qu’ils ne savent pas quel vin est dans quel verre. C’est le propriétaire d’un fameux second cru classé du Médoc qui a provoqué cette réunion. Ce propriétaire souhaite étalonner son vin par rapport à ses pairs et aux cinq premiers crus classés, haut-brion, mouton, lafite, latour et margaux, dans le même millésime dont les dégustateurs n’ont pas connaissance. Comprendre que ce monsieur est curieux de savoir si les considérables écarts de prix entre un premier cru et un second cru sont justifiés. Pendant près de deux heures, ils vont goûter chaque vin et noter leurs jugements, impressions, sensations. Comme chaque fois, on rend ses feuilles à l’huissier (un vrai, engagé pour l’occasion) et chacun argumente ses notes devant tout le monde. Ce debriefing durera une bonne heure encore. François Mauss, le président du Grand jury, anime la conversation. Il demande à ses dégustateurs quel est le millésime. Une majorité se dégage sur 2006. Une voix propose plutôt 2005, c’est Philippe Bourguignon, le patron du Laurent. Il a raison. Bettane exprime quelques vérités sur le millésime 2005 et les propos s’enchaînent. Burtschy reconnaît brane-cantenac qui reçoit un beau concert de louanges, c’est Henri Lurton qui sera content, lui qui travaille tant et depuis longtemps pour redresser le cru. Alain Raynault trouve cos-d’estournel, Poussier déclare que c’est le premier où le fruit l’emporte sur l’élevage, ce qui le rend plus gourmand. Tout ceci, dans une ambiance concentrée, recueillie même. Ici, on ne déconne pas. Ou alors, après. Bettane reconnaît margaux, bien joué. Tout le monde ou presque s’accorde sur la petite qualité du bois des barriques de ducru-beaucaillou. De toutes façons, le Grand jury n’est pas le temple de la tolérance. Il ne se réunit pas pour trouver des excuses, mais pour stigmatiser les vins dont le classement ou l’image ne correspond pas à la qualité mise en bouteille, c’est très différent. On fait assaut de sévérité, le moindre défaut, même mineur, est monté en épingles, on fustige, on se moque parfois. C’est le rôle de ces grands dégustateurs, un peu loin du public et de la réalité de la consommation au sens large. Pas grave, c’est comme la Formule 1 et ta Laguna, ceci sert cela. Et l’homme étant ce qu’il est, autant tenir rênes courtes les grands faiseurs des appellations. Ils savent que le moindre ratage est instantanément montré du doigt et ils en tiennent le plus grand compte.
On parle de masse tannique, on dit que montrose en a pour quinze ans avant d’être à son meilleur, mais que tout est là pour ça. Christian Roger, banquier de son état et membre permanent du GJE, et Michel Bettane expriment des avis divergents sur rauzan-ségla. Michel dit qu’il aurait aimé le faire. John Kolasa appréciera la qualité de l’éloge. Et boum, la cata. Les deux bouteilles de léoville-las-cases étaient touchées à des degrés divers par le TCA, ça va fumer chez Delon (Hubert, pas Alain). C’est le drame de la dégustation à l’aveugle, et c’est son honneur, on ne respecte plus rien ni personne. Olivier Poussier dit de belles choses sur léoville-poyferré et Bettane précise que c’est sa meilleure note, il parle du courage de Cuvelier, le propriétaire, qui a su replanter son vignoble en 1995 parce que les porte-greffes n’allaient pas, on voit le résultat. Bettane reconnaît mouton et lui tresse des lauriers. Burtschy parle de l’importance de l’aération et comment les vins en ont profité en deux heures. Bourguignon explique les qualités du vin n°18, l’ampleur de son nez, il pense que c’est lascombes, c’est lascombes. Trop fort. Michel dit les qualités de la viticulture à Lascombes. Alain Raynault, qui a fait les assemblages à Lascombes, ne l’a pas reconnu. C’est aussi ça, le Grand jury. L’humilité des dégustateurs, leur simplicité devant la difficulté et l’erreur. Jacques Perrin (de Genève), Enzo Vizzari (de Milan) et Michel Bettane disent des choses contradictoires sur léoville-barton. Il est temps de conclure. Et de passer à table. L’huissier et Bernard Burtschy (agrégé de statistiques) restent dans la salle pour comptabiliser les résultats de la dégustation. Il faudra patienter encore un bon quart d’heure avant d’avoir le classement issu de cet exercice. François Mauss meuble en expliquant à la petite bande que c’est Château Lascombes qui a commandité cette réunion. Ce margaux appartient au fond Colony Capital (comme le PSG). Bon, pour faire vite, c’est lascombes qui est classé premier. On voit se froncer quelques sourcils, on entend même quelques ricanements, ce qui agace fort le président Mauss qui intime l’ordre à l’huissier d’expliquer le déroulement des choses telles qu’elles sont consignées dans son rapport. Où l’on apprend que c’est l’huissier qui a acheté les dix-neuf vins dans le commerce en deux exemplaires chacun, bonjour le budget, les a stockés, les a apportés lui-même chez Laurent le matin, ne les a pas lâchés des yeux, a assisté aux carafages, à la dégustation, n’a pas comptabilisé les notes d’Alain Raynault puisqu’il a travaillé pour Lascombes, enfin bref, il se porte garant du bon déroulé des opérations. Aucune raison de douter, si un propriétaire pouvait acheter le Grand jury, celui-ci n’aurait aucune valeur et personne n’en voudrait. Facile à comprendre de quel côté de l’intégrité se place le Grand jury, c’est une question de survie.
Le podium de cette dégustation est donc, dans l’ordre, lascombes, léoville-poyferré, mouton-rothschild. Au pied du podium, cos-d’estournel et, en dernières positions, pichon-comtesse et léoville-las-cases. Ce qui remet les pendules à leur place, comme dirait Johnny H. Bigre, comme dirait l’autre, il y a donc bien des différences de prix qui ne sont pas justifiées. CQFD.

Les résultats complets seront publiés dans quelques jours (ou heures) sur le site du Grand jury européen : www.davosduvin.com

Membres permanents du GJE présents à cette dégustation : Philippe Bourguignon (Le Laurent), Serge Dubs (Meilleur sommelier du monde), Olivier Poussier (Meilleur sommelier du monde), Enzo Vizzari (éditeur italien), Abi Dhur (vigneron luxembourgeois), Laurent Vialette (expert en vieux millésimes), René Millet (grand amateur), Michel Bettane (Grand guide des vins de France Bettane & Desseauve), Bernard Burtschy (statisticien, journaliste au Figaro), Christian Roger (banquier en Italie), Marie Ahm (Danoise, journaliste et agent), Caroline Notin (cadre), Jacques Perrin (caviste en Suisse, écrivain, journaliste, etc.), Alain Raynault (vigneron, membre invité).


La photo : une table de dégustateur du GJE, photographiée par Armand Borlant

13 commentaires:

  1. ouarfffffffffffffffffffffffffff!

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  2. reignac banque avec huissier reignac 2ème lascombes raque avec huissier lascombes 1er c'est Oudini l'huissier???

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  3. quand Benveniste a voulu publier sa théorie de la mémoire de l'eau sans "Nature", le directeur de cette publication qui avait des doutes est venu dans le labo avec un physicien et un illusionniste. c'est l'illusionniste qui a découvert le pot aux roses

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  4. Cette extraordinaire capacité à douter de tout et de l'évidence est, sans doute, l'une des grandes qualités de l'âme française. Toutefois, en l'espèce, et connaissant bien les membres du GJE (d'ailleurs, les premiers à douter de tout), je peux garantir que les choses se sont passées dans la plus grande transparence et honnêteté. Et je me fous pas mal que certains des dégustateurs soient des copains et/ou des gens que j'aime bien, évidemment.
    Nicolas de Rouyn

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  5. je te tiens tu me tiens par la barbichette etc etc etc etc etc! vous êtes un simple relais média manipulé: faut bien que vous serviez à quelque chose et que les dégustateurs soient des naïfs honnêtes c'est tellement évident:

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  6. bref ce qui reste au bout du coup c'est une impression de gâchis! jusqu'à quand!! You can fool all the people some of the time, and some of the people all the time, but you cannot fool all the people all the time comme disait Abraham H

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  7. @anonyme de 13:16 : C'est Abraham L qui a dit ça, pas Abraham H.
    @anonyme de 14:17 : la naïveté est de croire que nous sommes manipulés ou même instrumentalisés.

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  8. 13:16 Nicolas votre culture m'impressionne! si si! on dirait notre bon président;....... faute de frappe I suppose!
    14:17 quand on veux vivre au-dessus de ses moyens faut bien trouver des gogos (qui s'en foutent plus ou moins) pour que le système fonctionne: l'organisateur du truc, c'est leur pauvre en quelque sorte! c'est le premier de la réunion qui a payé tout le toutime? faudrait demander la facture définitive à l'expert comptable des châteaux qui s'y prêtent

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  9. J'aime lire les posts d'anonyme : on croit chaque fois avoir atteint le fond du fond, mais non : il creuse chaque fois plus profond, et là, carrément, il a pris une pelleteuse pour aller plus vite vers la mauvaise foi absolue.
    Quelque part, chapeau devant une telle abnégation. Me fait penser au "Alain" sur le blog de Lalau qui est assez proche de cette médaille d'or, chacun ayant naturellement l'élégance de rester soigneusement caché derrière des mots qu'ils ne méritent pas.
    Attendons la prochaine session : d'ici là ils vont pouvoir tous les deux rechercher un vocabulaire un peu plus riche pour nous trouver des arguments qui vont nous esbaubir !
    Dans les étalons : incontestablement deux médailles d'or, section … (là, vous mettez le mot que vous voulez)

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  10. Elle était très belle mais d'autres femmes étaient aussi magnifiques pourtant elle savait qu'en habits traditionnels d'Asie, elle était irrésistible, cela m'était en valeur ses magnifiques yeux noirs et sa longue chevelure ébène. Elle demanda d'organiser un concours en tenue traditionnelle Asiatique et gagna, on l'accusa de tricheries....
    Bravo à Lascombes d'avoir senti le timing ou il pouvait être le meilleur cela lui permettra de vendre son primeur 2010 bien plus cher!!!!
    Bah, qu'est ce que cela change, je suis juste un amateur de vins et mon coeur est resté à Sauterne et à Rauzan-Ségla...
    Chopin a fait deux concertos c'est en gros les mêmes mais pfff quelle mélodie... est ce qu'on peut expliquer cela? I don't know.... Quelle est la place de ces 2 concertos dans le best of des concertos? Combien de temps on écoute le premier?

    Olivier

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  11. Merci pour ce commentaire qui élève sensiblement le débat. Ce que vous dites est juste (on va suivre les prix de lascombes, c'est sûr) et ponctuer avec les sauternes me fait forcément plaisir, nous savons tous (tous, c'est pas sûr !) que ce sont des vins admirables. Pour rauzan-ségla, je vais y retourner de près dès que j'en vois passer une bouteille.

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  12. enrichissant comme article et comme dégustation.
    Merci...
    Je ne pense pas qu'on puisse douter une seule seconde des conditions de dégustation.
    A l'aveugle, ça pardonne pas!

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  13. Surtout avec des gens animés par une telle rigueur. Merci de ce commentaire rafraîchissant.

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