Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



dimanche 13 février 2011

L’ébranlé du bordeaux


Comme plein de gens, j’ai découvert le vin à la table familiale où mon père, paix à son âme, nous faisait boire du bordeaux et avaler des sornettes avérées et des demi-vérités de l’époque, du genre les graves, c’est sept ans et les saint-estèphe, c’est vingt ans. Il avait ses tocades, s’enthousiasmait sur des trucs qu’on n’oserait plus ingérer, s’agaçait (déjà) des prix, avait parfois raison, n’admettait pas la contradiction. Lisez les forums Vins, vous verrez, il y en a plein des comme lui, toutes ces années après, qui ont plus de goût pour le moral que pour le bon. Lui, au moins, avait les excuses de son temps, le goût du poivron, les brettes en carte d’identité de ses jajas préférés, tout ça, mais passons, je m’égare. Le bordeaux, donc, en madeleine.
Jusqu’à ces jours derniers, j’avais fait mienne cette ligne entendue de Silvio
Denz : « Le vin est un voyage, mais on revient toujours à la maison et ma maison, c’est le bordeaux. » C’était assez exagéré pour être intéressant, assez appuyé pour être provocateur, ça m’allait bien. Et puis, c’est ce même Silvio qui a enfoncé la première porte de la perception, comme une sorte de Jim Morrison assis en tailleur sur son talus de Faugères.
Vas-y, raconte
C’était un soir d’été sur la terrasse de la chartreuse, nous étions quatre ou cinq, on se marrait bien, parfaite ambiance. Du coup, ce jeune homme généreux appelle son caviste et lui murmure un truc à l’oreille. L’autre revient avec un gros tas de verres et trois bouteilles dans des chaussettes, c’était l’heure des devinettes, j’écrasais ma cigarette. Une seule indication, ce sont trois vins du millésime 1995. Le premier d’un beau rouge sombre était excentrique, follement jeune, enthousiasmant. Le second, tuilé déjà, était fatigué, barbant comme un aristocrate à côté de la plaque et de son époque. Il y a de jeunes vieux. Le troisième, foncé, était tendu comme une corde à piano, vigoureux, en pleine forme, presque facétieux. Les trois n’avaient fait qu’un voyage, du domaine à la cave de Silvio, dès leur plus jeune âge. Pure scan psychologique de notre hôte, nous n’avons pas eu trop de mal à situer le second dans son Bordelais, mais pas les deux autres. Les vins venaient, dans l’ordre, de Pingus en Espagne, de Cheval Blanc et de Harlan Estate en Californie. Et vraiment, le cheval-blanc…
La seconde brèche dans mes certitudes fût ouverte au WWS à la Villa d’Este en octobre 2010 à l’occasion de deux horizontales sur le millésime 1990. Où l’on goûtait les six crus du DRC (échezeaux, grands-échezeaux, romanée-saint-vivant, richebourg, la-tâche et romanée-conti) d’une part, et les huit premiers de bordeaux, même millésime, latour, lafite, mouton, margaux, haut-brion, ausone, cheval-blanc et petrus. Je l’ai raconté en novembre sur ce blog, voir Le Davos du vin, les détails : « Un moment rare, où les certitudes sont ébranlées. Certes, nous avions affaire aux plus grands vins du monde, mais tous n’avaient pas fait ce voyage de vingt ans en business class et, à l’arrivée, il y avait des espaces entre les uns et les autres. Si le maître de chai du Domaine de la Romanée-Conti expliquait d’un air modeste que ses vins avaient encore trente ans devant eux, il n’en était pas de même de certains des premiers crus de Bordeaux. » Oui, on voyait bien que pendant ces vingt années, certains vins avaient assez mal dormi. Et, à la réflexion, il est très douteux qu’un seul d’entre eux parvienne proprement à tourner les 50 ans.
La troisième fois date d’il y a quelques jours. Jean-Guillaume Prats et Pablo Alvares recevaient ensemble pour Cos d’Estournel et Vega Sicilia. L’affiche valait le détour. Au menu, et avant quelques merveilles de Tokaji (Oremus et Hétszölö), un cos-d’estournel 1995 et un vega-sicilia-unico 1994 s’affrontaient sans l’ombre d’une chance pour le saint-estèphe. Le scénario, légèrement répétitif, a confirmé ce que j’avais éprouvé à Faugères et au World Wine Symposium. Il y a un truc avec les bordeaux de cette période. Ils ne tiennent pas la route face aux vins décrits plus haut. Bien sûr, il arrive que passent des bouteilles merveilleuses, mais j’ai l’impression que c’est plutôt rare. Et, bien sûr aussi, on voit d’admirables choses dans les périodes qui précèdent. Ainsi, un latour 55 sifflé il y a peu a collé au plafond les trois ou quatre que nous étions, réunis dans un bonheur sans faille (Irène, Olivier, merci), mais le château-margaux 83 qui suivait était sans intérêt et, à l’aveugle, nous ne l’aurions même pas calculé. Comme quoi…
En même temps, et à propos des grands millésimes, combien de bordeaux 61 annoncés grandioses sont au niveau d’un hermitage la-chapelle de la même année ? Pas nombreux, palmer peut-être et voilà tout.
Bon, et alors ?
Alors, le renouveau qualitatif des appellations de prestige du Bordelais ne datent que de la fin des années 90. Oui, les nouveaux propriétaires mettent des moyens colossaux à la disposition des nouveaux directeurs des châteaux pour gagner la bataille de la qualité. Oui, les néo-bordeaux sont faits pour les goûts nouveaux des consommateurs. Oui, aujourd’hui, les bordeaux sont infiniment mieux faits (les prodigieux 2000 de Pavie et d’Angélus dans des styles différents, les trois derniers millésimes de Cos d’Estournel, les six derniers de Pontet-Canet ou de La Lagune, le bond en avant de Marquis de Terme, de Fieuzal, Soutard, Marquis d'Alesme, Cantemerle, etc.) que dans les décennies précédentes. Oui, le plus prestigieux vignoble du monde a tout mis en œuvre pour protéger sa position. Mais quand même, sur quelles espèces de machins cette réputation a-t-elle prospéré pendant trente ans, les années Parker ? Faut-il absolument éviter de comparer les grands bordeaux de quinze ou vingt-cinq ans à d’autres productions du même âge et du même statut ? Faut-il passer à autre chose en attendant que les 2000, 2005 et 2009 soient prêts ? Dois-je installer un pont aérien entre le nord de l’Espagne, celui de l’Italie et ma cave ? Faisons ça en attendant.

10 commentaires:

  1. Très drôle la rédac, et pour le fond : "ça alors!"

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  2. Je dirais OUI. Un hedoniste qui se respecte se doit de ne pas cantonner sa cave a la région bordelaise. Nul doute que le plaisir en bouteilles peut être aisément trouvé en Italie et en Espagne...
    Et à propos : Pourquoi 'presque tous les plaisirs de la vie'?! Quand on lit ces quelques lignes on regrette que la liste des plaisirs egrainés ne soit pas exhaustive!
    A très bientôt
    Anne Le Naour

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  3. Ben oui, mais bon, il faut bien que la lumière se fasse ;-)

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  4. Je n'ai pas 24 ans, je n'achète pas mes vins sur chateauonline, je ne me qualifierais pas de geek pour un sou mais je maitrise un certain nombre d'outils internet et là, le commentaire que je venais juste de rediger a propos de ton dernier article s'est effacé sans être publié et c'est rageant!
    C'était court comme commentaire... Un truc du genre :
    'je dirais OUI : tout hédoniste qui se respecte se doit de ne pas cantonner sa cave à la région bordelaise. Nul d'outre que l'Espagne et l'Italie sont des pays ou l'on trouve aisément quelques plaisirs en bouteilles.'
    Voila a peu pres quel était le contenu de mon premier commentaire.
    Mais tant que j'y suis : pourquoi 'presque tous les plaisirs de la vie'?!
    Quand on lit ces quelques lignes, on se prend a regretter que la liste des plaisirs égrainés ne soit pas exhaustive!
    A bientôt
    Anne

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  5. Anne, les voilà tes deux messages. La tentation de l'exhaustivité… Vieux débat. Pour ce blog, j'ai choisi ces quelques plaisirs-là. Pour le reste…
    Nicolas

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  6. Je me réjouissais à l'avance. "L'ébranlé de bordeaux." Un fondu, enfin, de Bordeaux...Juste qu'à ce que, effarée, contrite, attristée, je vois se profiler la silhouette très "typée" d'un Vega Sicilia...Faut il que ce soit un Suisse qui ait le sentiment de rentrer à la maison et provocateur suffisamment pour investir quelques millions d'euros pour nous prouver, à nous pauvres autochtones que nul n'est prophète en son pays...Peut on comparer les mers du sud et la Manche quand le mois de février n'en peut plus de nous anesthésier? Peut on oublier l'effet millésime sur certains vignobles?
    Peut on pardonner l'exception qui confirme la règle? Cela n'empêche que, par dépit, je boive vos lignes, sans avoir envie d'en comparer leur parution antérieure. Je sais, que comme Bordeaux, étonnant vous êtes, réjouissant souvent, excellent pas à chaque fois, mais que vous restez quoiqu'il en soit une grande plume.

    Murmure (33)


    Murmure (33)


    Murmure (33)
    Marilyn qui murmure...

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  7. Un peu en froid avec les derniers Unico rencontrés (94, 98), reserva especial.
    A suivre ...

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  8. Et les Tokaj, un petit commentaire, Hetszolo vs Oremus c'est quelque chose quand même!

    Olivier

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  9. Et je n'ai pas parlé du magnifique furmint sec d'Oremus, une folie aromatique qui serait en droit de demander leurs papiers à quelques-uns de nos grands chardonnays préférés. Oui, les deux tokaji étaient sublimes dans des acceptions assez différentes. Comment voulez-vous faire un commentaire à caractère œno après cinq ou six verres de cos et de vega, de vega surtout. Non, les sens au repos, vous vous vautrez dans le tokaji avec une infinie volupté, vous êtes le plus heureux des hommes, vous envoyez un sms à qui vous aimez et pis c'est tout, le vent du Trocadéro fait un bien fou, la vie est trop belle.

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  10. Bravo!!
    J adore le style... et le contenu aussi... la remise en question et l incertitude que je trouve dans vos lignes résonnent agréablement à mon coeur.
    Merci et continuez!

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