Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 10 novembre 2014

Les grands vins, ça va

La France va mal. Ce n’est même pas une information, chacun peut mesurer la cata à l’aune de ses propres préoccupations. Dans cette ambiance désastreuse, on se demande qui, quoi aurait le culot d’afficher une belle santé. La crise, déclenchée à la fin de l’été 2008 et dont on ne sait plus très bien si elle a cessé ou si elle est réservée aux seuls Hexagonaux, porte certainement la responsabilité de bien des déconvenues. Le monde du vin n’y échappe pas, qui y ajoute des épisodes météorologiques très inopportuns. La position prééminente du vin français dans le monde ne lui a pas épargné en effet les revers les plus brutaux depuis 2008. Le dernier trimestre de cette année-là et les deux premiers, au moins, de 2009 ont vu des marchés se fermer, des commandes s’annuler, des stocks s’accumuler.
Si l’amateur peut paradoxalement se réjouir de ces vins qui ne sont pas vendus et ne sont donc pas bus trop tôt, les patrons de domaines et leurs banquiers qui les scrutent et serrent les fesses (et, donc, les facilités de caisse) ont trouvé cela moins romantique. Dieu merci, 2009 et 2010 ont été des millésimes prodigieux qui ont réveillé les appétits des amateurs, des courtiers, des importateurs. On a pu croire un court instant que la légende du vin repartait de plus belle vers des sommets qu’elle n’aurait jamais du quitter. Hélas, l’embellie n’a pas duré. Les millésimes 2011, 2012 et 2013 ont connu une climatologie piteuse qui n’a pas permis de prétendre à la gloire des millésimes consacrés ; ils se sont singularisés en outre par des récoltes bien maigres. Mal jugés, les vins se sont mal vendus. Il y avait évidemment de belles réussites, mais pas partout et le chroniqueur endossant le rôle de Cassandre, le mal fut vite fait. Trois ans de suite, les campagnes Primeurs de Bordeaux n’ont pas rencontré toutes les attentes des professionnels de la filière. Et comme c’est Bordeaux qui donne la température du vignoble français, l’humeur était pour le moins morose.
Cela dit, à quelques exceptions près, les autres vignobles n’ont pas connu des millésimes faciles. En Bourgogne, par exemple, si 2012 a produit des vins admirables, il y en a très, très peu et les prix flambent. Tous vignobles français confondus, on estime le manque de volume à -50 % sur quatre ans (2010 à 2013), c’est une baisse considérable qui a valu à la France de reculer au classement des producteurs de vin. L’Italie est passée devant. Un piccolo piaccere de courte durée, 2014 est la pire année pour le vignoble italien depuis soixante ans et la France a repris les commandes. Enfin, dernier particularisme très français, une pression administrative de plus en plus compliquée, malgré les promesses, des menaces sans cesse renouvelées sur l’accès de la filière (vignerons, inter-professions, marchands, etc.) aux possibilités de communiquer sur l’internet, des projets d’alourdissement de la fiscalité qui, tels le serpent de mer, reviennent à intervalles réguliers sur le devant de la scène et l’on comprend qu’il est de plus en plus difficile de faire proprement son métier de vigneron, la tête dégagée des contingences et l’esprit tendu vers l’excellence.

Pour apocalyptique que cela puisse paraître, le faisceau de complications qui frappent le vignoble est battu en brèche par une actualité en pleine forme. Les grands vins de France ont des atouts et ils s’en servent.
Qu’on en juge.
D’abord, le grand vin de France est une icône et un modèle pour le monde. Robert Wilmers, patron de l’une des 20 plus grosses banques américaines et propriétaire à titre personnel du Château Haut-Bailly, fameux cru classé de Pessac-Léognan, confirmait l’autre jour que « Le vin français est une référence. En Californie, ils sont fiers d’avoir des vins de style bordelais, ils ont même inventé l’expression “bordeaux blend”, assemblage bordelais. » Tous les vignerons du monde, à l’instar des grands amateurs de tous les pays, ont le plus haut respect pour nos vins, nos méthodes, notre histoire. Partout, les vins français sont regardés comme l’alpha et l’oméga du produit de luxe et traités comme tel. Si les aléas des marchés, les taxes si différentes d’un pays à l’autre, les errements politiques ici et là ne facilitent rien, on est bien obligé d’admettre que même si une bouteille de lafite a perdu 20 % en deux ans dans les ventes aux enchères à Hong Kong, ce n’est pas grave. Le reste des grands vins français confirme partout sa position dominante et, en particulier, sur les marchés dits matures. Plus le consommateur est averti, plus il achète du vin français. Ainsi du marché américain dont chacun s’accorde à dire qu’il repart de plus belle. À Londres, c’est la même chose. Les grands cavistes historiques de la capitale anglaise regorgent des plus beaux vins français qui rencontrent là des amateurs dont l’engouement ne faiblit pas. La Chine, même si les lois « anti-extravagance » sont redoutables pour nos cognacs et grands crus, installe peu à peu une structure normale dans le commerce du vin. Les volumes importés trouvent des amateurs de plus en plus éclairés. Le succès des salons organisés par Bettane + Desseauve ou par Vinexpo à Hong Kong, Shanghai et Tokyo démontre que le niveau de connaissance du vin et la curiosité extrême des amateurs chinois augurent de beaux lendemains pour toute la filière Vin locale. Déjà, la Chine est au quatrième rang des pays producteurs, c’est venu très vite et l’amplification de ce mouvement devrait être spectaculaire.

La structure même de la production de vin en France est ainsi faite qu’elle est capable de résister aux vents mauvais avec un bel optimisme. La nature ayant horreur du vide, si l’un fait défaut, l’autre relève le gant, il y a toujours un nouveau venu fasciné par les mystères du vin et prêt à investir pour permettre à l’histoire de continuer. Familles de longue lignée ou grands groupes ultra-puissants, néo-vignerons motivés, coopératives indispensables, tout est en place pour, éternellement, faire vivre et revivre le paysage viticole, cet « entêtement de civilisation » comme l’a si joliment appelé Aubert de Villaine, gardien du temple bourguignon et co-propriétaire de la mythique Romanée-Conti. Certes, les années difficiles que les professionnels viennent de subir laisseront dans le sillage beaucoup de vignerons qui, trop fragiles ou incapables de s’adapter, seront dans l’obligation de vendre le domaine à défaut d’avoir su vendre leurs vins. Au moins, c’est un baume sur la plaie, ils partent avec un beau pécule. La vigne vaut de plus en plus d’argent, partout, et rien n’indique un fléchissement des prix du foncier, au contraire. Les plus récentes transactions bourguignonnes de haut de gamme dévoilent des acquéreurs qui sont de solides investisseurs : l’entrepreneur numérique californien Michael Baum a acheté le château de Pommard, l’homme d’affaires Jean-Jacques Frey a jeté son dévolu sur le château Corton-André. Tout en haut de l’échelle, une très récente transaction a porté le prix d’une ouvrée de montrachet à un million d’euros. Il faut 22 ouvrées pour faire un hectare, d’où l’on peut estimer le prix de l’hectare à 22 millions d’euros. On comprend mieux les prix stratosphériques de certains très grands vins.

On comprend aussi que se développe un grand souci de préservation, la conversion à l’agriculture biologique, voire biodynamique, est à l’ordre du jour partout ou presque, à la manière des vagues qui se succèdent, plus ou moins grosses, mais toujours recommencées. Qu’il s’agisse de préoccupations environnementales ou de recherche organoleptique, ce monde avance. Fidélité au passé et engagement dans l’avenir, tout est en place pour écrire encore de très beaux chapitres de l’histoire du vin. Les plus beaux sont à venir disent même les connaisseurs, forts de ce constat qui établit que jamais le vin n’a été aussi bon, grand millésime ou pas.

Enfin, dans tous les vignobles et chez (presque) tous les producteurs, l’heure est aux cuvées d’exception. Le grand vin est devenu un exercice largement répandu et le guide Bettane + Desseauve s’en fait l’illustration. Si ce phénomène se rencontre aussi dans les autres pays producteurs, nul doute que les grands vins français ont une longueur d’avance, à tous égards. Cette démarche d’excellence concerne l’immense majorité des vins français, un engagement qui trouve son aboutissement dans la reconnaissance des marchés. Sans cesse, dans les maisons de Champagne ou les châteaux bordelais, sur les côtes de Bourgogne ou du Rhône, dans le grand sud du Roussillon et de la Provence, on avance, on innove, on annonce de nouvelles cuvées. L’exemple de la Cuve 38 des champagnes Henriot est significative. Sur le principe de la solera, l’idée a été lancée par Joseph Henriot en 1990 et vient de donner lieu à la première mise sur le marché d’un champagne unique. Il est constitué des millésimes 1990 à 2007. Ces vins ont été conservés ensemble et, chaque année, quelques hectolitres du vin de l’année rejoignent ceux déjà assemblés des millésimes précédents. Le résultat est un champagne qui conjugue la tonicité des jeunes effervescents et la douceur très subtile des vieux champagnes, une sensation assez neuve, non ? 
Ailleurs, on embouteille des cuvées dites parcellaires ou on cultive des cépages non autorisés par les cahiers des charges des AOC, ce qui contraint à sortir de l’appellation. Mais même si c’est parfois à contrecœur, les intéressés (Jérôme Bressy au Domaine Gourt de Mautens ou Éloi Dürrbach au Domaine de Trévallon) savourent la liberté retrouvée. Le succès de leurs cuvées montrent que tout est possible.

Le vin français bouillonne d’énergie et d’idées, explorent des pistes, s’enivre de sa propre créativité. Le public mondial suit, ravi et subjugué. Les mystères des grands vins ne sont pas près de s’éclaircir. Philippe de Rothschild, en son temps, rappelait que pour faire un grand vin, « ce sont les deux cents premières années qui comptent. Après, c’est facile. » L’envie de grands vins qui a saisi le monde ne montre aucun signe d’essoufflement. Partout, dans toutes les grandes villes du monde, des restaurants, des hôtels, des bars, à tous les étages de l’argent, mettent l’accent sur le vin comme jamais.

L’ouverture imminente d’un restaurant de haut de gamme dans la capitale mondiale du vin est le secret le moins bien gardé du monde. Bernard Magrez, flanqué de son cher complice et ami Joël Robuchon, va chercher trois étoiles dans Bordeaux intra-muros pour un établissement dont la cave promet de faire briller les yeux de plus d’un amateur. Dans le même esprit, la qualité de la verrerie disponible fait des progrès considérables. L’Autrichien Riedel mène la danse avec des verres de plus en plus désirables, de ces verres qui donnent toutes leurs chances à tous les vins imaginables ou presque. Et, ceci expliquant sans doute cela, les sommeliers ont pris le pouvoir dans les plus beaux restaurants parisiens. Au Cinq, c’est Éric Beaumard, un maître. Au Bristol, voilà Marco Pelletier, un Canadien qui trouve aussi le temps de faire sa cuvée très réussie dans le Bordelais. Chez Lasserre, c’est Antoine Pétrus, fameux dégustateur et membre de la dream-team Bettane+Desseauve, qui pilote la maison. Et, bien sûr, Philippe Bourguignon, le grand frère, l’âme du Laurent, membre éminent du Grand jury européen, spécialiste de la dégustation à l’aveugle, l’homme qui a fait de cet établissement des jardins des Champs-Élysées le QG de la gentry économico-politique de Paris, un type indispensable.

S’il fallait une dernière bonne nouvelle, la voici. Le millésime 2014 se présente très bien, partout. De quoi rendre le sourire à tout un métier.




Le simone est un blanc 96, un vin de méditation ; le meursault est un rouge, une folle dentelle
et le pontet-canet "millenium", une merveille qui ne saurait renier ses origines. What else ?
Le monde tout entier court derrière nos splendeurs.



La photo : moi.
Cet article a été publié sous une forme différente dans Série limitée, le supplément mensuel
du quotidien Les Échos du 7 novembre 2014.

12 commentaires:

  1. " le meursault est un rouge" voila ce qui est peu commun.

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    1. D'après mes collègues de bureau (ils s'y connaissent vachtement), c'est 3 % de la production de meursault. En posant la question, j'ai aussi appris qu'il existe du puligny-montrachet rouge. Comme quoi, on en apprend tous les jours.

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  2. Oui Meursault rouge, ca existe, ca peut etre bon. Les PC s'appelle Volnay. Je ne partage pas l'enthousiasme de NDR. Je trouve que beaucoup de grands vins sont nuls -- gustativement parlant. C'est malheureux au regard du prix. Heureusement que la presse du vin est la pour nous raconter que ce sont des "grands vins"... sinon on n'y croirait pas.

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    1. Non, monsieur, les PC rouges ne s'appellent pas Volnay, ils s'appellent PC rouge..
      Pour être précis et, même, exhaustif, j'ai demandé à mes camarades de bureau de vous préparer rien que pour vous la liste des PC qui ont le droit de produire en rouge.
      Les voilà : Pour le puligny-montrachet rouge, moins de dix hectares sont en production.
      Ce rouge peut être en AOP Puligny-Montrachet ou en AOP Puligny-Montrachet premier cru. Mais tous les premiers crus de Puligny ne peuvent être rouges, certains sont exclusivement blancs.
      Seuls les premiers crus de la liste ci-dessous sont autorisés à ce jour en rouge.
      Puligny-Montrachet premier cru Champ Canet rouge
      Puligny-Montrachet premier cru Champ Gain rouge
      Puligny-Montrachet premier cru Clavaillon rouge
      Puligny-Montrachet premier cru Clos de la Garenne rouge
      Puligny-Montrachet premier cru Clos de la Mouchère blanc
      Puligny-Montrachet premier cru Clos de la Mouchère rouge
      Puligny-Montrachet premier cru La Truffière rouge
      Puligny-Montrachet premier cru Le Cailleret rouge
      Puligny-Montrachet premier cru Les Chalumaux rouge
      Puligny-Montrachet premier cru Les Combettes rouge
      Puligny-Montrachet premier cru Les Demoiselles rouge
      Puligny-Montrachet premier cru Les Folatières rouge
      Puligny-Montrachet premier cru Les Perrières rouge
      Puligny-Montrachet premier cru Les Pucelles rouge
      Puligny-Montrachet premier cru Les Referts rouge
      Puligny-Montrachet premier cru rouge.

      Voilà. Vous avez le droit de dire merci à mes collègues qui dépensent leur temps précieux rien que pour vous.

      ,

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    2. Oui je crois que vous avez raison pour les PC.
      Merci donc a` vos collegues, c'est tres gentil a` eux.

      Et il y a aussi Blagny...

      Je precise ce que je savais: il y a des parcelles sur le finage de meursault en premier cru (PC) qui peuvent etre soit vinfiees en blanc, soit en rouge: Santenots, Pitures. Si elles le sont en rouge le vin s'appellera Volnay 1er cru AOC, si c'est en blanc ce sera un Meursault 1er cru. C'est surement pour des raisons de marketing, Volnay 'etant associe' en rouge et Meursault en blanc.

      Merci aussi sur l'info de Puligny. Je ne connaissais pas l'existence de rouge la`-bas.

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    3. Et je ne savais pas que le Parti Communiste était rouge...

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  3. et du Chassagne-Montrachet rouge aussi.

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    1. Oui, ça tout le monde le sait.

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    2. Nicolas, Anonyme, c'est toujours le même ?
      PC rouge, c'est logique, non ?
      et qu'un grand vin soit nul, c'est alors que ce n'est pas un grand vin.
      Autant on peut s'exclamer contre le foutage de gueule de certaines revendications de nom autant il faut reconnaître quand même que certains grands noms sont aussi des grands vins.
      La généralisation à deux balles, ça ronge le raisonnement et c'est fatiguant à lire.

      Maintenant, Nicolas, j'aime bien ton cocorico, un beau cri du coeur en cette aube morose, mais vraiment, je ne crois pas que le grand vin soit une spécialité française et que nous soyons les meilleurs dans cette production : pas plus que les derniers d'ailleurs : la compétition n'a pas de sens ici, heureusement.
      En revanche, je pense que nulle part ailleurs le goût comme témoin, marqueur, révélateur, vecteur, catalyseur, de terroirs divers est à ce point exacerbé. C'est sans doute notre spécificité, bien que des exemples existent aussi dans d'autres pays : nous n'avons pas le monopole des terroirs.
      Mais on compte quand même sur toi pour soutenir le moral des troupes !
      amicalement,

      Jérôme Pérez

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    3. Jérôme, pas la compétition, juste le nombre de grands vins. Il y en a plus en France que dans le reste du monde tout entier.
      Et ce texte est plus un état des lieux qu'un cocorico. Histoire de dire qu'au milieu du maelstrom paniqué, il y a un secteur qui va très bien, merci !

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  4. Jérôme,

    Barolo, Haut-Piémont, Oltrepo Pavese, chianti, Valpolicella, Etna (nous sortons d'une très belle série) ...
    L'Italie compte beaucoup, en termes de qualité et de variété.

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