Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mercredi 14 novembre 2012

Caroline et la colline



 Pour se raconter la colline de l’Hermitage, son grand vin la-chapelle et la maison Paul Jaboulet Aîné, rendez-vous est pris au Château La Lagune, grand cru classé médocain et belle chartreuse admirablement restaurée. Ainsi va la vie de Caroline Frey, partagée entre le Rhône et le grand estuaire de la Gironde. Elle parcourt la distance en voiture avec une toute petite fille, la sienne, sanglée dans son siège sur la banquette arrière. Élise a 18 mois.
 Après des études singulièrement brillantes, Caroline est passée par l’Institut œnologique de Bordeaux sous la houlette du professeur Denis Dubourdieu, également connu pour être un fameux vigneron et un grand consultant. Yquem et Cheval Blanc, c’est lui. Paul Jaboulet Aîné et La Lagune, c’est lui aussi. Avant de prendre les rênes de cette propriété bordelaise acquise par son père en 2000, Caroline avait passé deux ans en stage dans les vignes de Dubourdieu, à Reynon, au Clos Floridène et à Doisy-Daëne. Les aventures de Caroline Frey dans les vignes ont pu commencer, premier millésime 2004. « La Lagune a été le tremplin de mon histoire avec Jaboulet », dit-elle. L’année d’après, elle signe un magnifique 2005 qui tire des oh et des ah d’admiration à tout le monde et même un « wow » à Robert Parker, qui ne sera pas oublié de longtemps. Caroline Frey est lancée avec un beau crédit d’estime.

 On la retrouve à 650 kilomètres de là, les pieds dans l’eau du grand fleuve, adossée à la colline de l’Hermitage, dès le petit millésime 2006. Son père vient d’acquérir la belle maison Paul Jaboulet Aîné. Belle dans les souvenirs, belle par son catalogue de terroirs exceptionnels et ses étiquettes de légende, mais saisie d’un gros engourdissement depuis la mort de Gérard Jaboulet dix ans plus tôt. Dès qu’elle investit les lieux avec son équipe de Bordelais, des décisions sont prises. Parmi lesquelles, au-delà de l’inévitable restructuration qui fit très peu de vagues, la mise à l’évier de plus d’un million et demi d’euros de vins pour non conformité avec le niveau d’exigence des nouveaux propriétaires et la réalisation d’un nouveau chai, propre enfin. Six ans après, le moins qu’on puisse en dire est que Caroline Frey a pris toute la mesure de la maison et des défis qu’elle impose. « En arrivant, cette histoire de négoce me faisait peur. Je m’y suis collée, j’ai compris et voilà. J’ai installé un nouveau mot pour les vins de négoce. Maintenant, nous disons “vins d’élevage”. Et je m’occupe de tout ici, commerce compris. Depuis peu, j’ai cessé de courir le monde. À la place, nous faisons venir le monde à nous. C’est un peu plus coûteux, mais je ne peux pas tout faire. » Un brand ambassador ferait très bien l’affaire, non ? « Euh, un directeur commercial polyglotte, plutôt. »
 Parmi les innovations apportées par la famille Frey, il y a cette volonté de distribuer ses vins, les bordeaux comme les rhônes, chez les cavistes à l’exclusion de tout autre circuit. On ne trouve pas de La Lagune, ni de Jaboulet dans les hypermarchés. Donc, on ne les trouve pas non plus dans les foires aux vins. « Nous soutenons nos cavistes en organisant nous-mêmes, et au même moment, des foires aux vins chez eux. Nous l’avons fait dans le Rhône, avec le soutien de la presse locale, et tout s’est très bien passé. Les cavistes sont capables de répliquer à la grande distribution. » Une stratégie alternative à laquelle la Place de Bordeaux a du se plier, bon gré, mal gré.

 Peu à peu, Caroline a organisé sa vie, trois semaines dans le Rhône, une à Bordeaux. Elle s’est prise à aimer cette vie rhodanienne et si, à La Lagune, elle occupe une chambre d’amis, à Tain-L’Hermitage, elle vit chez elle, dans son appartement de Valence. Pour rire, et pour faire référence à ses incessants allers et retours, elle dit habiter « sur le 45e parallèle ». Une passion qui la pousse à explorer encore les ressources des lieux. Ainsi a-t-elle remis en activité une parcelle abandonnée à Condrieu. « Livrée à la forêt, nous l’avons redressée. Denis Dubourdieu nous prenait pour des fous, mais dans le Rhône, les belles parcelles sont à forte pente. À Bordeaux, ils n’imaginent pas ça du tout. » Il faut comprendre ce qui exerce une telle attraction. Dans le catalogue des belles choses de la maison Jaboulet, il y a une pépite très exclusive. De celles qui font mourir de jalousie certains de ses voisins. C’est le très fameux la-chapelle, un vin mythique dont les grands millésimes, 1991, 1978 et, surtout, 1961, attirent les plus fortunés des amateurs dans des ventes aux enchères d’anthologie qui voient les prix d’adjudication s’envoler vers des sommets qu’on croyaient réservés à lafite, à la romanée-conti.




 Cette chapelle existe, plantée au sommet de la colline de l’Hermitage, et retraite d’un fameux ermite, le chevalier de Sterimberg. De la-chapelle, Caroline dit :  
« Cette cuvée a reçu vingt ou vingt-deux fois la note suprême en cinquante ans. Ce n’est pas une garantie pour la commercialisation, ça ne suffit pas. Il y faut une valeur affective de plus. La-chapelle a cette chance. Les vraies choses, on ne les construit pas. » Pour ce vin, 15 à 20 000 cols par an, les plus grandes attentions sont requises. La contrefaçon est une préoccupation : « Des gens nous demandent régulièrement de reconditionner des faux. Dans ce cas, les bouteilles sont détruites immédiatement. » La construction d’un nouveau chai au pied de la colline, avec un caveau des vieux millésimes et une maison d’invités est un projet qui avance. Cette année, la-chapelle 1961, mythe absolu et champion du monde des ventes aux enchères, a cinquante ans. Caroline, 34. L’histoire commence à peine.



Les photos : sont signées Mathieu Garçon. Ça se voit.

Ce sujet a été publié sous une forme différente dans le numéro de novembre de Série limitée, supplément mensuel du quotidien économique Les Échos.
Pour bien comprendre les enjeux majeurs de cette colline de l'Hermitage,
on peut lire ça et ça.

4 commentaires:

  1. et pour être très complet, on signalera que la dite chapelle aura perdue quelques tuiles après le passage très venteux d'octobre mais qu'elle est restée vaillante malgré son très grand âge.

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    1. Il faut dire qu'elle est très bien entretenue. Pour les tuiles, je ne sais pas, je n'y suis pas allé depuis le mois de mai.

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  2. j'y étais fin octobre juste après le passage venteux(photos sur facebook)seulement 2 tuiles à terre, tout va bien.

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  3. Olivier:
    Rien à dire, la première photo est vraiment parfaite :o)

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