Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mercredi 17 décembre 2008

Monument historique


Le cognac est une eau-de-vie dont l’histoire ancienne lui vaut d’être considéré comme un actif important du capital culturel et commercial de la France. Le manque d’intérêt incompréhensible que lui portent les Français est très largement compensé par son succès planétaire. Ouf.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, le cognac doit sa naissance à un défaut des vins issus des vignes des Charentes. Incapables de voyager, ces vins excellents sur place ont été distillés pour être transportables, tout simplement. Et ce sont des négociants hollandais qui ont fait la première expérience des vins « brûlés » (les brandwijn qui devinrent les brandys), une technique qui leur permettait de supporter le transport. La suite de l’histoire montre que l’idée était solide. Le cognac a vite conquis l’Europe et, d’abord, l’Angleterre jamais en retard quand il s’agit de s’intéresser à un produit du vignoble français. Le cognac a accompagné les négociants dans le monde entier en même temps que les Français s’en désintéressaient peu à peu.
Cette année, 96 % de la production est exportée, un chiffre hallucinant. Même une petite maison comme Frapin exporte dans 60 pays. Mais le cognac nous donne à lire une foule de chiffres incroyables. Ainsi 3 à 7 % de la production annuelle s’évapore ! Nous avons visité les chais immenses de Rémy Martin, dans la banlieue de Cognac (considérés comme hautement inflammables, les stocks d’eau-de-vie sont classés Seveso et n’ont plus le droit d’être conservé en ville). L’endroit, gardé comme un dépôt de munitions ou la Banque de France, est divisé en bâtiments qui abritent chacun 6 000 barriques. Pour cette Maison, 6 000 barriques c’est exactement le volume perdu chaque année… Pfuiit ! En contemplant l’intérieur du chai et ses milliers de barriques sagement alignées dans la pénombre, on est pris de vertige en se disant que toute cette production aura disparu purement et simplement dans l’année. On comprend qu’il faut des nerfs d’acier à un directeur financier pour admettre une telle gabegie et on peut penser que si les producteurs de cognac ont paré ce phénomène du nom délicat de « part des anges », c’est pour éviter de déprimer. Sacrés anges. De la même manière que les Champenois, les Charentais ont organisé un modèle économique qui fait la part belle à chacun des intervenants de la filière. Les grandes maisons de Cognac achètent le raisin (ou le moût, ou le distillat, c’est selon) aux vignerons, élèvent les eaux-de-vie, et les commercialisent à point nommé. Certaines grandes maisons sont propriétaires de vignes mais aucune n’en a assez pour assurer sa propre production. Ainsi, Rémy Martin est propriétaire de 300 hectares de vigne mais ces terres n’assurent que 3 % de la production de la maison (estimée à 24 millions de bouteilles). Il faut bien que quelqu’un vende ses raisins. D’autres maisons, et même de très belles comme Delamain, n’en possèdent pas et achètent donc aux vignerons. D'autres, comme Frapin en possèdent (270 hectares) et ne distillent que leur propre production sans aucun achat extérieur. Toutes les combinaisons existent.
Aujourd’hui, on voit poindre un soupçon d’amélioration dans les relations distendues que nos compatriotes entretiennent avec cette eau-de-vie miraculeuse. Et, comme partout dans le vignoble français, des vignerons inventent des "produits" différents et des manières innovantes de les présenter. Dans cet esprit, les cognacs de Léopold Gourmel et leur concept (fleurs, fruits, épices) sont une belle avancée. Comme dans tous les secteurs, le cognac possède ses produits d’entrée de gamme au prix retenu et ses flacons de très grand luxe follement coûteux. Il n’y a pas seulement de la magie dans les chais, il y a aussi un business. L’inter-profession a fait des efforts considérables pour rendre le cognac désirable par les couches les plus à la mode de la population. D’où la multiplication des cocktails et autres mix. C’est inventif et léger, c’est donc à la mode. Nous n’avons pas à décider si c’est une démarche qui tient compte de la réalité de cette eau-de-vie ou non, et si l’ancienne manière de la boire allongé d’eau (la célèbre fine à l’eau de nos grands-mères) doit revenir au goût du jour. Mais nous disons que le cognac restera pour nous et pour longtemps le compagnon voluptueux, c’est-à-dire complexe et goûteux, des fins de soirée, des après-dîners, cet espace-temps délicieux qui fabrique les meilleurs sommeils et les plus belles amours. Le cognac est lié pour la vie aux conversations douces, aux flirts brillants, aux consensus bienveillants. Comme une sorte d’amoureuse qui enveloppe et enchante le corps et le cœur. Pourquoi n’explique-t-on pas ces choses toutes simples aux jeunes générations ?

La photo : l'un des nombreux chais de Rémy Martin à Cognac (il contient 6 000 barriques), photographié par Mathieu Garçon

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