vendredi 1 juillet 2011

Didier Mariotti et le temps qui passe


Voilà un Corse né en Suisse d’une mère bourguignonne. À cet étonnant assemblage, il faut ajouter un grand-père qui ne compte pas pour des prunes. C’est Armand Rousseau, grand homme du chambertin. On comprend bien que le vin était une sorte d’atavisme auquel Didier Mariotti n’a pas voulu échapper. Il dit pourtant que « Le vin est une carrière due au hasard ». Ah bon ? Il a bien fait de se laisser porter alors. Après des études d’agro à Nancy, spécialité brasserie, il entre chez Mumm où son patron détecte un talent pour la dégustation, lui fait passer son diplôme d’œnologie et l’engage, au côté de Dominique Demarville. Ce dernier parti chez Veuve-Clicquot il y a deux ans, c’est Didier qui prend le poste de chef de caves, à 38 ans. À charge pour lui de continuer l’œuvre entreprise, le redressement du cordon-rouge, qu’il définit ainsi : « Un brut accessible avec du fruité, de la légèreté. Chercher un peu de complexité en gardant de la fraîcheur. Parvenir à élaborer un gros volume, mais de belle qualité. Sans trop de tension, avec de la rondeur pour privilégier le fruit. Le champagne pour le plaisir, c’est le plus difficile. »
Il s’en sort, apparemment. Dans le guide Bettane + Desseauve, on parle de cuvées « nettes et souples », et le cordon-rouge est réapparu avec de jolis commentaires : « Une bouche moelleuse et fraîche, un caractère rond et suave, un champagne diablement séducteur. » Et 17 sur 20 pour le millésimé. C’est beau. Par la grâce des talents additionnés de Dominique Demarville puis de Didier Mariotti, Mumm revient de loin.
Didier Mariotti ne laisse à personne la liberté de décider. Il a su mettre un terme à ce qu’il appelle la vision-spiritueux : « J’ouvre le robinet et je le ferme. » C’est lui qui signe en bas de la page, il prend ses responsabilités, ça rassure tout le monde. C’est vrai qu’il exprime bien une certaine force quand il dit : « Il faut savoir douter et être sûr de soi en même temps et tout le temps ». Il sait aussi prendre la mesure des événements. De l’accroissement des stocks dû à la crise, il est ravi. « On est passé à un vieillissement de plus de trente mois. Magnifique. » En sportif accompli – il a mené une grosse carrière de handballeur qui s’est achevée un dimanche soir aux urgences, la cheville en miettes – il a le sens de la patience, « dans un monde aussi rapide, notre métier est d’attendre, de sentir, d’écouter les vins vieillir. Il faut savoir temporiser. Si on ne sait pas, mieux vaut choisir un autre métier ». On adore l’idée des chefs de caves assis sur un banc au soleil, à laisser le champagne vieillir, d’un air entendu. C’est beau comme un film de pub.
Aujourd’hui, Didier emmène Mumm sur deux axes prioritaires. Développer la notion de terroir et constituer une œnothèque, sérieusement mise à mal par le précédent propriétaire de la marque, par ses représentants plutôt. Pour le terroir, voilà qu’il sort une cuvée pour amateurs, un blanc de noirs baptisé Mumm de Verzennay qui prend place dans la gamme à côté du célèbre blanc de blancs Mumm de Cramant. Pour l’œnothèque, on ne peut s’attendre à rien avant cinq à dix ans. Si vous avez le temps d’attendre.

La photo : Didier Mariotti, photographié par Mathieu Garçon dans la cuverie de Mumm. Cet article a été publié sous une forme différente dans L'Express Hors-série Vin.

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