Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



vendredi 26 septembre 2014

Les terrasses de Lavaux, première fois


 

Avoir enfin vu et parcouru les terrasses de Lavaux, ce plaisir. C’est un coteau très escarpé à l’est de Lausanne, très forte déclivité taillée en petites terrasses (un peu) moins pentues et divisé en tranches par des rails de funiculaire qui servent aux vignerons à monter et descendre leurs outils. Là, la plupart des traitements se font en hélico, c’est moins coûteux que le travail manuel sur ce coteau impossible. Les vignes de Lavaux se divisent en huit appellations, dont Dézaley, la plus connue, le grand cru.



On y fait surtout pousser du chasselas de cuve et l’un des propriétaires de parcelles y a aussi installé un conservatoire de cépages qui comptent une grosse douzaine de variétés de chasselas, donc. Chaque mini-rang nous apprend le nom de la variété, des noms simples qui disent quelque chose sur le cépage. Ainsi
« giclet » parce qu’à la pression, le jus gicle de la baie ou « fendant » parce qu’elle se fend.



Cet homme, 80 ans aux fraises, est un néo-vigneron qui fourmille de projets. D’une vie passée de juriste, il a gardé les idées claires et un certain sens de ce qui doit être. Il s’appelle Louis-Philippe Bovard, c'est lui le conservatoire du chasselas. Chez les Bovard, comme chez les Latour de Beaune, on se prénomme Louis ou Louis-Machin, d’une génération sur l’autre, c’est pratique pour incarner l’étiquette. C’est une ancienne signature du coteau surtout connue pour son Médinette, la cuvée la plus expressive des chasselas, bien sûr.



De ce coteau qui plonge dans le Léman, on voit très bien la côte française et le Mont-Blanc, c’est de la viticulture de montagne avec l’avantage de la grande flaque d’eau qui joue un rôle de régulateur thermique très opportun. Ce jour-là, fin d’été douce et ensoleillée, tout est en place pour comprendre ce mythique Lavaux. Nous y passerons des heures.



Plus tard, le soir même à l’occasion d’un dîner plus-que-parfait dans le nouveau restaurant d’Anne-Sophie Pic au Beau-Rivage Palace à Lausanne, nous goûterons des chasselas de dix et quinze ans, un vieillissement harmonieux comme une vieille dame émouvante à force d’être toujours gracieuse, miel et tilleul, noisette. On regardera le soir tomber dans le lac, plus loin à l’ouest, du côté de Genève, en se disant que ce vin blanc est à sa place dans un registre de plaisirs raffinés qui colle bien à la gastronomie aimante et précise du Beau-Rivage powered by Anne-Sophie Pic. Ce très grand palace de 170 chambres et ses annexes sont amarrés au bord du lac depuis plus de 150 ans, mais en remontrerait à plus d’un établissement dernier cri. À la cave, notamment, gérée par le sommelier Thibaut Panas, meilleur sommelier de Suisse 2014, originaire de Troyes. Là, 75 000 bouteilles très finement choisies attendent leur heure. Surprise, pas un grand bordeaux postérieur à 2003 à la carte. Les millésimes plus récents ont droit à dix ans de vieillissement au moins dans les caves de l’hôtel, sorte de Fort-Knox très bien organisé. Sur cette somme de flacons, Thibaut Panas consacre le tiers aux vins suisses, dont 15 000 aux seuls vins vaudois, le canton dont dépend Lausanne et le Lavaux. De la belle ouvrage. Intelligemment, le Beau-Rivage a inscrit les Terrasses de Lavaux au nombre des excursions et des découvertes proposées à la clientèle.



Le lendemain, visite au Domaine de la Colombe mené par Raymond Paccot, autre gloire locale, autre type charmant. Lui, il n’est pas à Lavaux, mais sur la Côte, pente douce qui ondule jusqu'au lac et vaste groupement d’appellations à l’ouest de Lausanne parmi lesquelles Féchy, dont Paccot sort le plus beau des chasselas, cépage décidément très identitaire. C’est un chercheur, un vigneron agité, sympathique et détendu, qui travaille ses sols et réfléchit avec le couple Bourguignon pour connaître encore mieux ses terroirs, un très bon qui réalise en particulier une cuvée pour et avec l’ami Jacques Perrin, caviste voisin, philosophe, alpiniste et dégustateur émérite au sein du Grand jury européen (son blog, ici). Cette cuvée rouge sobrement baptisée « Exception », il en sort 800 bouteilles exclusivement réservée à Jacques, c’est un vin racé et frais, épatant, j’en ai une bouteille, elle va vieillir longtemps avant que je l’ouvre. La voilà avant le grand plongeon à fond de cave.



Avec Paccot, la conversation roule sur la viticulture suisse. « On fait ce qu’on veut » affirme-t-il pour me faire comprendre que les contraintes imposées par les appellations laissent le champ libre à l’expression personnelle de chaque vigneron. Ici, une grosse cinquantaine de cépages autorisés, liberté de taille, d’écartement, etc. Quelque chose entre l’hyper-permissivité des appellations US et l’étouffement réglementaire qui prévaut en France (à ce propos affligeant, lisez ça). Plus tard, il évoquera les droits de succession très faibles en Suisse qui permettent aux familles de conserver leurs terres assurant ainsi la fixation d’une activité rurale, pérenne et dynastique. Sur les 18 hectares de son domaine, il en a converti douze à la bio-dynamie, « une viticulture de riches » précise-t-il. Provocateur, il affirme : « Je ne l’ai pas fait pour l’environnement, je trouve que ça fait des vins meilleurs. » Et pour faire rire le Français qu’il a en face de lui dans sa cave, il ajoute « Ici, je ne connais que des Français riches, ils sont tous là. » Suit une liste de noms connus sur laquelle je préfère garder mes commentaires par devers moi jusqu'en 2017 au moins. Surtout quand on vous explique que la politique suisse est un peu ennuyeuse et que « heureusement qu’on a la télé française pour rigoler. » Dit avec l'accent suisse, c'est très agaçant.


Les photos : mon NiPhone sauf celle de Dézaley signée Nasty Nastasia

lundi 22 septembre 2014

Christian Seely, à grandes enjambées

Christian Seely est un Anglais qui, depuis 20 ans, est un patron français. Il est l’homme d’AXA Millésimes, filiale de l’assureur, partout dans le monde. En dirigeant Quinta do Noval dans la vallée du Douro au Portugal qui produit le meilleur porto qui soit, ou Disnoko en Hongrie, un tokay de haute volée, il exporte le savoir-faire français.
 À la tête de Pichon-Baron à Pauillac, de Petit-Village à Pomerol ou de Mas Belles Eaux dans le Languedoc, il parcourt le monde en ambassadeur polyglotte de ses vins d’exception.



Dans tous les cas, son terrain de jeu est immense et lui, il est partout.
Et si les excellentissimes bourgognes du Domaine de l’Arlot représentent une part infime des 2,4 millions de bouteilles qu’il a la charge de diffuser, il en est très fier et il cherche à agrandir ce domaine à tout prix. Ou presque. Chez AXA, on fait très attention à la pertinence des investissements et maintenant qu’une ouvrée (425 m2 soit 1/23e d’hectare) de chambertin s’échange pour 1,2 million d’euros, agrandir son emprise foncière sur les côtes de Beaune et de Nuits n’est pas une affaire simple.
Quand il est arrivé en 1993 dans ce désert humain qu’est le Douro, il savait que la tâche qui l’attendait était titanesque. La Quinta do Noval avait traversé une longue période de déclin. Il fallait tout reprendre en s’appuyant sur d’antiques techniques de vinification qu’il n’était pas question de moderniser. Il attendra le millésime 1997 pour voir enfin le ciel s’ouvrir. Robert Parker lui attribue deux fois 100 points pour les deux grandes cuvées de la quinta.
En Hongrie, le scénario est le même. Cinquante années de communisme avaient mises à mal le vignoble de Tokay. « Le tokay est un des plus grands vins du monde, le vin des cours royales d’Europe. L’idée qui nous animait était de ne pas passer à côté de la renaissance de quelque chose de très grand, de travailler à la restauration de cette région, à son retour au premier plan, faire partie de cette histoire. Tout ceci plaisait beaucoup à Claude Bébéar et ce que nous avons exécuté. Être présent au Portugal et en Hongrie était visionnaire pour l’époque et je n’ai fait que développer cette stratégie. » L’humilité du propos ne doit pas cacher l’excellence des résultats. Aujourd’hui, les ventes des tokays de Disnoko sont en progression constante depuis quelques années. Les portos de la Quinta de Noval ont retrouvé le rang perdu, le premier.
Ces deux propriétés françaises sont rentables et portent haut leurs couleurs respectives. Cela dit, le jour où il s’est décidé à devenir vigneron pour son propre compte, en plus de ses activités chez AXA Millésimes, il a choisi le Hampshire plutôt que la Marne pour planter des chardonnays et des pinots et réaliser un grand vin effervescent sur le modèle champenois. On ne se refait pas.



Photo Fabrice Leseigneur. Cet article a été publié sous une forme différente dans Les Échos-Série limitée du 12 septembre 2014



dimanche 14 septembre 2014

Isabelle Saporta, ce sont les blogueurs
qui en parlent le mieux

C’est très voluptueux de savourer l’unanimité qui se fait entre quelques farouches blogueurs en général plus prompts à s’entre-dévorer sur tel ou tel sujet d’importance qui agite le mondovino.
Là, un choix :
ces blogueurs savent reconnaître l’imposture
ou
ce n’est pas un sujet d’importance
ou
les deux.
Bref, l’auteur du piteux Vinobusiness qu’on retrouve demain à la télé fait un bide. Sauf, naturellement, chez les pros de l’émotion indignée. Un genre en perte de vitesse.

Sandrine Goeyvaerts, caviste à côté de Liège, blogueuse de l’année de la RVF, son blog, qui se fait traiter de féministe par Isabelle Saporta sur Facebook n’a pas publié un billet tonique parce que : « Moi, motus: j’aurais bien trop peur que son auteure me traite encore de féministe (sic, en 2014 une femme utilise "féministe" comme épithète disqualifiante)(voilà voilà). »
Mais sur les réseaux sociaux, elle a posé sèchement le problème et a livré des avis très tranchés. Je suis bien d’accord avec elle.

Nicolas Lesaint, directeur technique du château Reignac, vigneron-blogueur sincère, s’est agacé des propos tenus dans le film par son auteur. Particulièrement ceci :
« Quand la météo est peu clémente, les viticulteurs ont une excuse toute trouvée pour utiliser massivement des pesticides »
Ah, ah, ah, elle est géniale.
Extrait de la réplique de Nicolas :
« Rien que ça, ça m'énerve, rien que pour ça, ça mériterait que tout l'ensemble soit discrédité. Comment chercher à expliquer, puisque l'exercice est celui-ci, une problématique de fonctionnement de notre viticulture actuelle, si d'entrée l'axe est biaisé et volontairement orienté vers une conclusion racoleuse, simplificatrice et caricaturale. » La suite de la même eau à lire sur son blog. Il se dégage de ce papier renseigné, intelligent et drôle que Isabelle Saporta fait le lit des prohibitionnistes avec une grande allégeance. C’est une proposition intéressante.

Vincent Pousson, grand pourfendeur des crapuleries, a détruit son clavier avec un billet définitif sur le sujet.
Extrait :
« De fait, on aurait pu se passer de commentaires infantiles ou infantilisant, tel celui sur les traitements de la vigne chez Dominique Derain (28'19"). "En Bourgogne, comme dans toute la France viticole (il y a des exceptions NDLR), la météo au printemps 2013 a été catastrophique. Mais même dans ces circonstances, Dominique Derain refuse de pulvériser des pesticides sur ses vignes. Il préfère faire confiance à ses bouses de vache si savamment préparées…" Ou quand elle nous explique qu'à Volnay (26'49"), "les produits chimiques sont proscrits". Ben voyons, c'est vrai qu'au printemps 2013, la bouse de vache avait réponse à tout ! »
On n’est pas tenu d’être d’accord avec tout, mais vraiment, là, chapeau.
Comment voulez-vous que j’y aille de mon billet sur ce désastre ? Ces trois-là ont fait très bien. Même Jacques Dupont, chroniqueur Vin de l’hebdo Le Point, pourtant preux défenseur de la dame, a lâché le désormais culte « le problème d'Isabelle Saporta, c'est qu'elle parle », aussi relevé par Vincent.
La messe est dite.
Le reste, la diffusion de ce film, le mal qu’il fera – ou pas – aux vignerons français, c’est la responsabilité de la direction de France 3. Moi, je vais plutôt remonter un angélus 96 que m’avait donné mon ami Daniel il y a des années. Je vais boire cette belle bouteille demain soir en regardant le débat qui suivra la diffusion du navet.
Allez, un dernier pour rire. C’est Isabelle Saporta qui parle dans le film :
« Jean-Luc Thunevin a accepté de me montrer comment sont fabriqués les grands crus. Il m'a révélé qu'ici, chaque bouteille de vin est composée du mélange de différents types de raisins, ce qu'on appelle les cépages. » L’énormité a été relevée aussi par Vincent.


jeudi 11 septembre 2014

Le nouvel homme de la comtesse



C’est un grand garçon athlétique, en version marathonien, qui aborde la quarantaine avec la bonne tête d’un acteur américain (du côté des indépendants). Il explique volontiers qu’il a toujours fait du sport, du marathon, qu’il se tourne maintenant vers le triathlon (natation, vélo, course à pied), que ces activités lui sont parfaitement indispensables et que, d’ailleurs, il a fait son service militaire dans les chasseurs alpins pour ça, la montagne, l’effort, l’arme d’élite. Nicolas Glumineau, directeur général du château Pichon-Longueville Comtesse de Lalande, grand cru classé de Pauillac, fils d’un cheminot vendéen et d’une infirmière, a acquis très tôt le goût du vin en passant par des études de génétique, puis de génétique appliquée au labo du fameux Denis Dubourdieu à Bordeaux. Nicolas, Bordelais d’adoption, aurait adoré l’Argentine ou les cabernets de l’état de Washington, ce sera le Médoc. En 2007, il intègre l’équipe du château Montrose, cru classé de Saint-Estèphe, il aura été l'un des derniers à travailler aux côtés du grand Delmas. Là et jusqu’en 2012, il vivra cinq ans de travaux. Les frères Bouygues ont décidé de tout refaire dans le plus parfait respect de l’histoire des lieux. De ces cinq années, il dit qu’elles lui ont permis de comprendre « qu’on fait partie d’une propriété. On travaille pour les générations futures ». En 2012, il arrive à Pichon-Comtesse, appelé là par Frédéric Rouzaud, président de Rœderer, propriétaire du château.

Extraits d’une conversation avec Nicolas Glumineau, fin juillet 2014.

Les trois moments de l’année qui vous rendent nerveux ? 
- Le choix du premier jour de vendange, on joue la qualité de la matière première.
- Le choix de l’assemblage qui fait le millésime. Les dés sont jetés.
- Le choix de la parcelle à replanter, de l’association sol-cépage et porte-greffe. On en a pour 50 ans.

Vous êtes content de votre patron, le groupe Rœderer ?
Ils sont dans le business de longue date. Ils savent les doutes, les remises en cause, les coûts, le temps.

Remplacer May-Éliane de Lencquesaing qui a tenu Pichon-Comtesse pendant tant d’années, c’est facile ?
Le socle commun, c’est l’obsession constante de la qualité. Mais l’icône, c’est Pichon-Comtesse. Ce qui est amusant, c’est de reprendre une propriété qui a toujours été gérée par des femmes. Cela dit, je suis de passage. Tout ce qu’on fait, c’est pour demain et après-demain. Deux ou trois générations sont concernées par nos décisions.

Et ?
J’aimerais bien qu’un jour, quelqu’un se dise que j’ai bien fait.

Quand vous êtes arrivé, vous avez viré tout le monde ? 
C’est l‘équipe de Madame de Lencquesaing à un directeur technique près.

C’est cher, Pichon-Comtesse, hein ? 
Les niveaux de prix parlent bien de l’agriculture. Ils rappellent au monde que les produits de la terre ne sont pas reproductibles à l’infini et que, si c’est bon à boire, il est normal que ça coûte un peu d’argent. La haute-couture coûte plus cher que le prêt-à-porter.

À propos d’agriculture, vous êtes un agriculteur moderne ? 
Nous expérimentons le bio et la bio-dynamie sur une dizaine d’hectares. Je suis mal à l’aise en tant que citoyen. Là où je fais dix traitements en lutte raisonnée, j’en fais quinze en bio. Il y a un côté Charybde et Scylla, le bilan-carbone aussi est un problème. Mais les herbicides, c’est fini depuis un moment. On laboure.

Ce qui vous préoccupe en ce moment ? 
J’ai entrepris de repenser la taille pour allonger l’espérance de vie des pieds de vigne et pour éviter autant qu’il est possible les maladies du bois. L’évolution à partir de ce qui existe est de faciliter le chemin de la sève, c’est la taille Poussart appliquée au Guyot double. Cela n’a pas de conséquences sur le volume de production, mais évite au cep de mourir en 25 ans.

Des nouveautés à venir dans ce temple du classicisme ? 
Ma chance, c’est d’être passé par Haut-Brion et j’ai très envie de faire un blanc. Il va falloir que j’en parle à Frédéric Rouzaud.

Sous votre magistère, quelle est l’ambition du cru ? 
Refaire un 1989 tous les ans. Le 89, c’est la flèche de l’archer. On sait d’où ça part, où ça va et avec quelle précision. Une trame tannique très droite et une expression aromatique d’exception.

Pichon-Comtesse, c’est féminin ? 
Ce terroir fait de grands cabernets et de grands merlots. C’est le merlot qui donne le côté féminin dans l’inconscient collectif.

Et le millésime 2013, ici ? 
Pour la première fois, nous embouteillons un 100 % cabernet-sauvignon.



Photos Patrick Cronenberger, juillet 2014.

mercredi 10 septembre 2014

Bernard Magrez (vu de mon hublot)

« Château La Tour-Carnet », c’est un cru classé du Médoc, c’est aussi le nom du Falcon 50 qui s’apprête à décoller du Bourget destination Alicante. À l’intérieur, une fine équipe va passer la journée en Espagne avec Joël Robuchon, le grand chef aux vingt-cinq macarons Michelin, autour d’une paella particulièrement succulente, il l’a promis. Pour une fois, ce n’est pas lui qui officiera, mais une jeune Espagnole, cuisinière de son petit restaurant dans un village de poussière écrasé de soleil au milieu des collines rases, quelque part, loin.
Bien calé dans l’un des huit fauteuils cuir du Falcon, son propriétaire laisse vagabonder son regard par delà les nuages, pensif. Même s’il est toujours d’une très parfaite élégance, toute britannique et donc bordelaise, Bernard Magrez n’a pas de cravate aujourd’hui, ça sent les vacances. Mais non, en fait. Il va simplement passer la journée avec un ami et un partenaire, Robuchon est un type adorable. Plus tard, ensemble, ils évoqueront les difficultés qui les réunissent, ils créent un restaurant à Bordeaux, c’est tout dire. S’agissant de l’attelage Robuchon-Magrez, on se doute qu’il ne s’agit pas d’un nouveau concept de truck-food. Ils veulent donner à la grande ville un vrai trois-étoiles. Ils veulent une cave à vins unique au monde, cent vingt crus classés et assimilés, le meilleur de la production locale dans les meilleurs millésimes, ce sera bien suffisant. Ils veulent un nouveau lieu d’exception et ce ne sont pas quelques retards plus ou moins acceptables qui vont les en empêcher. L’un comme l’autre, ils ont appris à composer avec l’adversité, d’où qu’elle vienne. Si chacun sait la carrière fulgurante de Joël Robuchon, on connaît moins l’éclatante réussite de Bernard Magrez, l’homme est discret.



Après une première vie consacrée aux vins et spiritueux de grande diffusion, une affaire revendue à son vieux complice Pierre Castel, il a imaginé une sorte de stratégie, voire une martingale, qui consiste à donner à ce qu’il estime être une nouvelle génération de consommateurs des émotions toujours différentes, mais toujours de haut niveau. Aujourd’hui, il est à la tête de plus de quarante propriétés à travers le monde. Japon, Chili, Californie, Espagne sont au nombre de ses destinations régulières. Et la France, bien sûr, où il est le seul à posséder, parmi d’autres joyaux, quatre grands crus classés dans quatre appellations majeures. Les châteaux La Tour-Carnet en Haut-Médoc, Fombrauge à Saint-Émilion, Pape-Clément en Pessac-Léognan et le dernier acquis, Clos Haut-Peyraguey à Sauternes.
À 75 ans révolus, on pourrait penser qu’il contemple le soleil qui ne se couche jamais sur ses propriétés tout en dégustant l’un ou l’autre de ses nectars. Erreur. La mécanique de précision qui lui sert de cerveau tourne plus vite que jamais dès lors qu’il s’agit de compléter ce qu’il appelle son offre. « Vous savez pourquoi j’ai arrêté les vins de grande diffusion ? Je n’avais pas les moyens de faire prospérer l’affaire. Pour lancer une grande marque de vins aux USA, vous dépensez cent millions de dollars chaque année. Pour soutenir mes grands vins de Bordeaux, j’organise cinq dîners par an, des événements très haut de gamme où il faut être vu et le tour est joué. » Certainement, mais sa vérité est ailleurs, bien plus aiguisée. « L’amateur cherche des sensations nouvelles, des goûts inconnus. Il veut des typicités, des caractères, des vins différents toujours. Aujourd’hui, on zappe d’une bouteille à l’autre. On veut changer beaucoup et on veut des conseils. Aujourd’hui, j’ai quarante et un vignobles qui sont autant de terroirs, d’émotions, de plaisirs, de statuts même. Il y a une recherche de singularité à laquelle nous devons répondre. » De même, ne surtout pas croire qu’il est un propriétaire lointain. Non, il arrive au point du jour dans son bureau du château Pape-Clément, un œil sur les vignes, l’autre sur les chiffres, et un autre encore, tiens, à l’aguet des occasions qui se présentent. Ses vignes, il les vit au jour le jour. Pas toujours facile pour ses équipes, on le sait volontiers aigu, mais tous ceux qui sont partis de chez lui disent les années d’exception passées dans le sillage du grand homme. Lui, il veut tout savoir en temps réel. « Le monde du vin change à toute vitesse. Ce métier est devenu magnifique. Tout s’est mis à accélérer. Il y a une prime aux leaders. Et quand on ne l’est pas, il y a des méthodes à appliquer comme dans n’importe quel métier. » Bernard Magrez s'amuse bien. Comme tous ceux qui savent réussir, il n’est jamais avare d’explications sur ses échecs ou, au moins, ses erreurs. Ainsi, s’agissant du succès fulgurant des blancs des Côtes de Gascogne, il avoue trois ans de retard sur les quelques-uns qui ont lancé le mouvement, dont l’admirable coopérative de Plaimont. Il vient de lancer “Aurore en Gascogne” dans le but de tenter de rattraper le retard accumulé sur ce segment. « 170 millions de cols, rien que ça. Et le premier importateur de ces vins du Gers, c’est le marché américain. » Puis, presque rêveur, il lâche : « Le colombard, c’est 160 hectolitres à l’hectare. » Pour comprendre, il suffit de savoir que ses propriétés bordelaises ne dépassent pas les 50 hl/ha. Bernard Magrez sait compter, chacune de ses propriétés doit être à l’équilibre. Au moins. Il voit bien comment ces côtes-de-gascogne arrivent à être extrêmement rentables sans être des vins chers. Il voulait que ces vins entrent dans son offre, c’est fait.


Dans son bureau du château Pape-Clément, fin juillet


Mais on ne comprendrait pas Bernard Magrez sur la seule foi de ses performances économiques. Derrière le tycoon indiscutable, il y a un type pas commode, mais un homme bon. Depuis déjà longtemps, il est habité par cette idée si rare : « Je veux rendre ce que j’ai reçu. » Alors, de mécénat en fondation, le voici grand supporteur des arts et des lettres. Un jour, il achète un stradivarius, violon d’exception. Et voilà qu’il est aussitôt confié à un jeune virtuose bordelais. Une autre fois, il décide d’ouvrir l’Institut Bernard Magrez dans l’ancien château Labottière à Bordeaux, un musée d’art contemporain privé ouvert au public, c’est très inhabituel. Cet été, ce sont Les Nuits du savoir, auxquelles il convie quelques fins esprits de notre temps qui vont développer « un thème pour élever l’esprit. » Le philosophe et ancien ministre Luc Ferry y a déjà planché sur le thème de la solidarité. Mais pourquoi fait-il tout ça ? La réponse est nette. « Je le vis comme un devoir. Aider les autres, dans tous les sens du terme, tout simplement. »



Photos Mathieu Garçon, juillet 2014. 
Cet article a été publié sous une forme différente dans Paris-Match, le 4 septembre 2014



 

dimanche 7 septembre 2014

Philipponnat, Lalique, Bettane+Desseauve, Haut-Bailly, le feu d'artice de la rentrée

Déjà, il y avait eu ce feu d’artifice de la fin août venu ponctuer et conclure un concert donné dans la baie de Talloires par un pianiste et un chœur d’hommes. Nous y avons assisté de la terrasse du Chalet Christine (petit hôtel de bon luxe et table de réputation) qui domine la baie et le petit lac, sans doute le plus beau panorama du lac d’Annecy. L’émerveillement devant une pyrotechnie monochrome, la couleur était le doré, c’était sublime et furieusement chic, mais à Talloires, c’est normal.

Le retour aux affaires, deux jours après, n’a pas déçu.
Commencer la saison par un dîner au Laurent, c’est la meilleure façon de trouver de l’intérêt à un retour de vacances. C’est Charles Philipponnat qui recevait pour ses champagnes. Dîner très studieux, il y avait beaucoup à découvrir.
(Flash-back) Je me souviens de mon premier déjeuner de presse-vin, il y a quelques années. C’était avec Philipponnat et le même Charles et c’était le lendemain de mon premier dîner de presse, un grand barnum chez Ledoyen, cent personnes à table reçues par l’association des classés de Saint-Julien. Nouveau venu, je ne savais rien des usages et je m’étonnais de ces journalistes spécialisés qui ne goûtaient qu’à peine les très grands vins qu’on nous servait. Onze crus classés, onze verres, j’ai tout bu, champagne de l’apéritif, yquem de fin de dîner et cognac de clôture compris. L’équivalent de deux bouteilles, quoi, tout seul moi (reconnaissance éternelle au chauffeur du taxi qui m’a livré chez moi). Bref, le lendemain, Charles organisait son premier déjeuner de presse et les quelques vingt journalistes invités avaient tous assisté au dîner, la veille. Les conversations flambaient sur les mérites des saint-julien, sur les accords de Le Squer, alors cuisinier en chef de Ledoyen. Il y avait les pour et les contre, on s’empoignait presque, on s’opposait avec vigueur sur ce sujet fondamental dans une vie d’homme. Charles n’en croyait pas ses yeux et il a dépensé beaucoup d’énergie à recentrer les débats sur ses vins, l’attachée de presse était verte. J’avais trouvé le moment un peu difficile et pas seulement à cause de mes excès de la soirée. J’ai fini par comprendre que c’était tout le temps comme ça, un déj de presse, puis les choses ont beaucoup changé en cinq ou six ans.



Donc, nous voilà par un très beau soir de septembre sous le dais de la grande terrasse à l’étage du Laurent. Où nous avons découvert une rafale de nouveautés. De nouveaux millésimes, de nouveaux habillages et, surtout, de nouveaux vins. En Champagne, un nouveau vin, c’est comme une nouvelle voiture à Sochaux, des années de travail. Et voilà Charles qui transforme les projets et présente ses nouveaux philipponnats. Un blanc de noirs 2008 époustouflant, on s’accordera sur le mot « perfection » prononcé d’abord par Bettane (quel influenceur). Charles dit, lui : « 2008, c’est un 1996 qui a réussi », l’acidité exagérée en moins. Puis deux cuvées ultra-parcellaires, pour 2 000 bouteilles chacune, c’est confidentiel, Le Léon et Mareuil-sur-Aÿ, même millésime 2006. Deux expressions des terroirs concernés, des vins jeunes et très miellés, à forte proportion de grands pinots noirs, dosés à 4,5 grammes de sucre par litre. Des vins de grands amateurs en vente uniquement chez Philipponnat. Une soirée finie avec un clos-des-goisses 2005 au moment où les premiers rayons de la demi-lune montante arrivait sur la terrasse du Laurent. Il y a du talent dans ce champagne. Bravo, Charles et pardon pour le déjeuner de presse de l’autre fois.



Le lendemain, déjeuner de tapas chez Gagnaire à l’invitation de Silvio Denz pour la collection 100 points de Lalique. Il s’est associé avec Ferragamo pour faire un coffret cuir de grand luxe, c’est un bel objet, super. Mais le clou du spectacle était les vins choisis pour ce rendez-vous de rentrée. Puisqu’il s’agit de 100 points, les voilà. Mouton 09 et 10, lafite, margaux et haut-brion 05, latour 00, le tout introduit par dom-pérignon P2 96. Bref, le genre de diagonale entre ici et le ciel qu’on ne croise pas tout le temps. Que dire ? Oui, on sent bien les vibrations du très grand vin, mais vraiment ils n’y sont pas encore. Même le latour 2000 était encore adolescent. Peut-être que le margaux 05 tirait un peu mieux la couverture à lui, une délicatesse inattendue à ce stade.

Le soir même, encore un feu d’artifice, le lancement du nouveau guide des vins Bettane+Desseauve devant une foule compacte qui a pu déguster tous les vins primés par cette édition et écouter chacun de ceux qui ont été récompensés par les best-of du guide. Comme chaque année, on s’est dit qu’il y avait trop de monde, que la Galerie Vivienne de Legrand était trop petite et, comme chaque année, on a décidé de n’y rien changer.



Le lendemain, autre apothéose, Haut-Bailly au Laurent pour déjeuner. Une semaine où je vais deux fois au Laurent est une bonne semaine. Robert Wilmers, le banquier américain propriétaire de Haut-Bailly et Véronique Sanders, petite-fille de l’ancien propriétaire, qui le dirige avait organisé une verticale de quinze millésimes consécutifs. C’est une conversation avec Hervé Bizeul, ce matin, qui m’a fait soudain réaliser l’importance de la notion de « consécutifs », c’est évident. Avec ces haut-bailly, le niveau est splendide, la régularité aussi. Ce qui n’empêche pas, bien sûr, d’avoir des préférences. Mon podium : 86, 98 et 01. Le plus impressionnant reste la montée en puissance du cru sous un vrai effet d'origine, Haut-Bailly était l’égal des plus grands au XIXe siècle, on distingue bien l’ambition.

La semaine prochaine commence avec les vins italiens de Jean-Emmanuel Simond et finit chez Krug.

lundi 1 septembre 2014

Un été bien blanc

Personne ne boit que du blanc ou que du rouge, même si j’ai parfois entendu l’une ou l’autre déclarer « je ne bois que du rosé ». Mais bon, mes blancs d’août. On verra les rouges un autre jour.



1. Les lecteurs de ce blog le savent, j’aime les vins de François d’Allaines. Son simple bourgogne générique sous-la-velle est une merveille (ici). Ce chassagne-montrachet 04, aussi. Un beau vin de gastronomie. Il a presque dix ans et toutes ses dents, c’est un vin de bonne humeur, joliment aromatique, belle longueur, il est complet. 



2. Ce clos-de-l’oratoire-des papes, maison Ogier dans le groupe Advini, a remplacé à la brutale un misérable fonsalette blanc 99 complètement aplati, j’en ai parlé ici. Bouchon tiré et aussitôt servi, je n’aime pas du tout faire ça, mais ça existe aussi. Il a consolé tout le monde à l’instant et le fonsalette est sorti de la conversation.



3. Cet extraordinaire clos-de-la-barre 00 des comtes Lafon a fait partie d’un dîner de rois où nous avons bu une horizontale du millésime avec des vins de chez Dujac, Roumier et Guillard, j’y reviendrai. Ce meursault a été servi après le dîner et quelle bonne idée de le traiter en vin de méditation et quelle meilleure manière de faire comprendre à chacun les méandres d’un grand chardonnay ?



4. Une sélection parcellaire du château La Nerthe, le clos de Beauvenir 95. Je l’ai acheté il y a des années au domaine, je commence à peine à le goûter. C’est un voyage au milieu des arômes et des saveurs merveilleusement imbriqués, une complexité remise en cause à chaque gorgée. Très grand vin. Lui aussi promet le grand soir si on le sert comme vin de méditation. La prochaine.



5. Un quart-de-chaume 96 du château Bellerive, la cuvée Quintessence. Il a enchanté une tablée d’experts ronchons et exigeants, un soir de pluie. Le temps s’est levé très vite.



6. Un sauternes 99 du château de Malle. Ah, le beau vin, le grand plaisir. J’ai un rapport curieux avec les liquoreux de Bordeaux, l’impression que gorgée après gorgée, ils vous habitent, vous entourent, on s’abandonne, la sensation de lâcher prise, c’est très agréable et ce malle n’a pas failli avec sa belle couleur d’acajou clair.

J’ai aussi passé une vingtaine de jours à siroter un rayne-vigneau 03, un petit verre chaque soir comme nos aïeules le faisaient en des temps immémoriaux. Trois semaines, bouteille ouverte dans la porte du frigo, sans se compliquer la vie avec des bouchons spécialisés. Chaque soir, j’ai goûté un vin différent dans ses subtilités. Faites pareil. Buvez du sauternes pendant qu’ils en font encore.


Ami lecteur, pardon pour les photos pourries, il faut que je fasse quelque chose à ce sujet, je sais.