Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



vendredi 30 décembre 2011

Les vins de l’entre-deux-tours

Cette période assez floue qui sépare deux grands évènements sociaux. Les fêtes familiales et celles des potes. Aux premières, on a dédié les bouteilles belles, les vieux millésimes, les liquoreux douillets, les vins calmes pour tenter d’y accrocher l’année écoulée. Aux secondes, on réserve des abondances et du tonique, il faut absolument se donner des forces pour ce qui suit. Entre les unes et les autres, on peut comme certains décréter l’abstinence. C’est ennuyeux, ce n’est pas l’époque pour le faire, il y a des carêmes mieux placés dans l’agenda. En revanche, c’est le moment d’être un peu plus light, plus simple, (un peu) plus curieux, aller dans le petit. Voici la liste des vins que j’ai goûtés (sifflés même) entre les dîner et déjeuner de Noël et le réveillon du 31.




Trois vins de chez Emmanuel Reynaud, domaine des Tours. Un VDP merlot-syrah 2000, un vacqueyras 2004 (magnifique) et la-pialade, un côtes-du-rhône 06, bien abouti dans un millésime souple. Très dans le style du garçon, celui dont il se sert pour éblouir la planète avec son château-rayas,
le châteauneuf-du-pape de référence.


Un côtes-du-rhône 09 du Domaine de la Janasse, à Châteauneuf-du-Pape également. En magnum. Une très belle matière beaucoup trop jeune.


Les santenays les-bras 09 de mon cher ami François d’Allaines, très, très bien. De jolis bourgognes blancs, aromatiques à la limite du régressif, le chardonnay quand c’est très bon.


Un bon lalande-de-pomerol 08, en magnum, le château-grand-ormeau.
Une rare unanimité autour de la table vaut tous les discours.


Un rêve-d’automne, pacherenc-du-vic-bilh 08 du Château Laffitte-Teston,
une friandise pas passionnante, mais personne ne s’est plaint, verres vidés.


Alliae, la nouvelle cuvée non-dosée de chez Dosnon & Lepage, un beau champagne très pur, incisif, tendu. Avec des belons, accord parfait.


Un blanc de blancs 02 de chez Delamotte, sans surprise, aérien et à sa bonne place d’apéritif.


Un merveilleux quart-de-chaume 08 du château Belle-Rive, un cadeau de la vie, celui-là. Pendant plusieurs jours.

Voilà. Maintenant que 2011 est vide, il va falloir songer à remplir 2012.

mardi 27 décembre 2011

Grignan-les-adhémar, la nouvelle appellation aux truffes

Le village de Grignan coiffé de son château

Cette Provence du nord a gardé ce qu’au sud, on a perdu. On y voit encore des tracteurs sur les petites routes compliquées qui ondulent entre les collines. Ce n’est pas une région facile. Si vous êtes au sud de la frontière climatique qui transforme les nuages en soleil, un peu au-dessus de Montélimar, ce n’est pas gagné pour autant. L’hiver est rigoureux, et polaire si le mistral s’en mêle. Même sous ce ciel bleu dur, la campagne glaglate, prostrée dans le froid qui mord et ne lâche pas, ce pitbull.
Ici, le vignoble a conservé les traces de son origine, la polyculture. Il n’a pas, comme ailleurs (Alsace, Champagne, Bourgogne, Bordeaux), pris toute la place. Ici, les carrés de vigne vivent en bonne entente avec les vergers et les bois, les céréales et les cultures fourragères, les friches et les lavandes, les oliviers, les abeilles. C’est bien pour la bio-diversité favorable aux équilibres naturels. Ailleurs, on replante des haies. Ici, aussi, le monde en marche laisse sa marque qui encercle la campagne entre autoroutes et TGV, plaines industrielles et sites atomiques. Une drôle de vue sur la vallée du Rhône depuis les remparts de La Garde-Adhémar, ce village fortifié qui assurait, au sud, la sécurité de cette Drôme provençale, propriété si l’on peut dire des Adhémar.

Le lavoir de Grignan

C’est en raison de cette proximité défavorable que l’appellation Coteaux-du-tricastin a décidé de changer de nom. Les tenants de l’appellation ont tenté d’expliquer à EDF que le changement de nom de la centrale nucléaire du Tricastin serait une bonne idée, guère dommageable à son activité. En réponse, EDF a assuré les vignerons qu’ils y gagnaient en notoriété. « Les cons, ça ose tout », disait Audiard, parlons plutôt de l’infini cynisme de ces roitelets de sous-préfecture, ces tyranneaux de village qui, forts de leur micro-pouvoir, assujettissent une population entière à leur bon vouloir, à leur arrogance, à leur intérêt.
En un temps record (deux ans est un temps record quand on deale avec l’administration), les vignerons du Tricastin ont changé de nom. Ils avaient choisi « Grignan », mais impossible pour une de ces raisons décourageantes dont nos fonctionnaires se sont fait une spécialité. Ce sera « Grignan-les-Adhémar ». Bien sûr, une foule de professionnels a ricané devant les mots tortillés.
Moi, je suis pour. Ce nom nouveau a pour lui sa référence à l’Histoire de la Provence, il sonne bien, il a du fond. Le vin a une grammaire et une orthographe bien à lui, à charge pour l’amateur de s’y plier. Le vin est une culture, il faut l’apprendre. C’est vrai en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Portugal. Pourquoi faudrait-il simplifier ? Demande-t-on à un artiste-peintre de restreindre la palette de ses couleurs ? Les étrangers n’y comprendront rien ? Aucune importance, il y a très peu de vins à vendre, aucune chance que les palettes atteignent Hong Kong, Saint-Paul ou Vegas. Et cessons de prendre ces étrangers pour des veaux. Ils comprennent très exactement ce qu’ils ont envie de comprendre, comme vous, comme moi. Et si le vin est bon, il se fraye un chemin avec son grignan-les-adhémar en drapeau et tout va bien.




Le vin est bon. Par chance, nous l’avons goûté à table en trois occasions de suite. Deux repas de vignerons et un dîner chic. Devinez où nous avons été les plus heureux. Ces repas étaient placés sous le signe de la truffe noire, c’était le début de la saison. Des truffes dans tous les plats, desserts compris. Nos vignerons n’ont reculé devant rien, il fallait en mettre plein la vue aux journalistes parisiens. Ça, c’est fait. Moi, ce qui m’a épaté surtout, c’est la qualité de l’accord entre leurs vins et les préparations truffées. Magique, surtout dans des proportions pareilles. Bien sûr, soucieux de faire passer le message de la nouvelle appellation, nos nouveaux amis ne nous ont servi que des vins de 2009, 10 et 11. C’est dommage, ces vins vieillissent si bien. Henri Bour, le président, nous assuré que le changement de nom s’était accompagné d’un nouveau cahier des charges beaucoup plus rigoureux et que, par conséquent, les vins s’étaient améliorés. Sans doute, mais je lui ai quand même acheté un magnum d’un millésime de dix ans, un vin formidable, apaisé, qui a fait merveille sur des truffes, oui, encore. C’est La truffière du Domaine de Grangeneuve. Il y en eut d’autres, une grosse vingtaine. Un blanc magique, un viognier 2011 du Domaine de Montine. Un liquoreux de viognier 2010, À l’envol de l’hirondelle, du Domaine des Rosier (sans s puisque c’est le nom du vigneron), une beauté qui a fait merveille avec un sorbet aux truffes, qui l’a sauvé en fait.

Le trésor du trufficulteur

Nous avons appris que 2011 n’était pas une grande année de truffes, qu’il y en avait peu, que les prix atteignaient des altitudes et que, de tout façon, la meilleure saison, c’était janvier et février, que les prix baissaient de moitié puisque les fêtes étaient passées. Un vieux monsieur très érudit est venu nous expliquer des tas de choses sur la truffe, qu’il ne fallait pas la cuire, en particulier, et que pour la poularde demi-deuil, il valait mieux y consacrer une truffe brumale plutôt qu’une melanosporum (le top, la bien noire veinée de blanc, voir photo ci-dessous). Quand je lui ai expliqué ma recette favorite, il a dit que j’avais raison. J’étais content. On est toujours content quand on a bon.

Ma recette (photo ci-dessus) : du pain de mie tranché fin (plus fin que sur la photo) et toasté, une très fine tranche de lard blanc de Colonnata fondu sur le pain de mie bien chaud et une tombée de lamelles de truffe détaillées avec une mandoline et hop. Le vieux monsieur a dit "le gras du lard exalte les arômes de la truffe". Un grand verre de grignan-les adhémar rouge ou blanc, les avis sont très partagés, moi, c’est rouge. Un joli pomerol de dix ans fait la blague aussi.


Les photos ont toutes été faites avec mon iPhone 4, c'est dingue cette qualité.

mercredi 21 décembre 2011

L’Italie, ses vins. La France, ses blogueuses


L’Italie, c’est obligatoire. Comprendre qu’on ne peut pas, on ne peut plus, s’en passer. Même si on ne roule pas tous en Ferrari – Pancho, sors de ce corps (de métier), on mange tous la pasta avec une gourmandise régressive, jouissive, revendicative. Il est inconcevable de passer à côté d’un nouveau bistro italien à Paris. Si le fer de lance de la gastronomie italienne a longtemps consisté en un long chapelet de pizzerrias lamentables, il arrivait qu’au détour d’un hasard placé habilement sur notre route, nous découvrions un hâvre de félicité de première bourre dont on faisait notre cantine instantanément. C’était bon, agréable, chaud, les vins étaient possibles, les additions aussi. Et puis, le buzz aidant, les prix montaient, la foule accourrait à la suite de sous-people à lunettes noires, l’envie passait, et nous portions nos pas et nos sous ailleurs, mais où ? Cette Italie délocalisée nous apportait par bouffées la vérité de la table transalpine, sa générosité, sa simplicité, ce que François Simon (qui est un spécialiste) a appelé un jour « sa bonté ». Un mot inattendu et furieusement juste. Notre Italie gastronomique à nous était posée là, toute entière contenue dans ce mot, la bonté.
Puis est venu le temps de la modernité à manger, des modes et des lubies, ces désastres. L’Italie à table n’a pas échappé à ce mouvement, même si elle a longtemps résisté. Aujourd’hui, ces néo-bistrots ritals font le bonheur des foodistas en mal d’émotions renouvelées qui, l’iPhone en bandoulière ou un Canon pour les plus avides de statut, saturent les réseaux sociaux de leurs photos floues et de leurs enthousiasmes automatiques. Dans des billets transformés en champs de pommes de terre par une orthographe honteuse, dans un français de bac à sable dont la grossièreté le dispute à l’incompréhensible, le tout émaillé de crisettes de jeunisme, blogueurs et surtout blogueuses y vont de leurs jugements définitifs, d’accord avec tout, prêts à ingurgiter n’importe quoi (et à nous le régurgiter en pleine poire), commentant à tout-va dans des ciselages approximatifs qui laissent rêveur, la langue torturée par de vieux ciseaux rouillés. Parfois, ici ou là, des fulgurances de mots et d’idées nous font pousser des petits cris d’adoration. C’est pure bienveillance de notre part, on a envie d’y croire, de pousser la génération, de promouvoir un regard différent, on y a cru, elle est mignonne, la petite. Et puis, plouf, le soufflé retombe, la grenouille se dégonfle aussi vite, c’était un accident, ça ne suit pas, la prétention est insupportable qui vous transforme n’importe quelle pépette élevée au mac-do et au nutella en critique gastronomique auto-proclamée. On lit trop de bêtises, dès lors qu’on connaît un peu le sujet abordé, le restaurant tant vanté, l’imbuvable porté aux nues. Ce demi-monde issu de milieux ni assez chic, ni assez populaires et dont la seule légitimité est d’avoir une connection internet. N’est pas Miss GlouGlou ou Miss Vicky Wine qui veut. Il y faut non seulement de la branche, mais du travail.



C’est à peu près dans cet état d’esprit – assez sombre, je le concède – que j’ai poussé la porte de Divinamente italiano, nouvelle enseigne à deux pas de la Bourse, à Paris, ouverte il y très peu de temps. Ce qui me rassurait, c’est que je n’avais pas encore vu de blogs s’en faire l’écho. La décoration modeuse, la carte aux intitulés chichiteux, aucun doute possible, on va pas se marrer beaucoup. Bon.
Erreur de jugement, vitesse excessive, l’humeur sombre. La carte des vins. Ah. Miracolo. Sourire, soleil. La plus belle carte de vins italiens que j’ai croisée à Paris. Des choix étonnants (pour un resto). Des chemins de traverse, les teroldego d’Elisabetta Foradori, le lagrein de Hofstatter, des Toscans inhabituels, des Piémontais moins connus, des prix abordables, en tout, près de 120 références, l’Italie en une sorte de best-of. C’est très, très bien, battons des mains. Où l’on apprend que ce restaurant a été créé par une sommelière italienne, Raffaella Petrillo. Ce qui forcément nous fait plaisir. Il faut savoir que ce sont des choix à contre-sens de la mode « nature » du moment, cette rébellion de gosses de riches qui confond goût et dogme. Là, on a cherché seulement à initier la culture de ces vins à Paris, à peu près inexistante malgré les efforts de quelques-uns pour nous apporter les merveilles des vignobles italiens. Je pense, en particulier, à l’excellent Jean-Emmanuel Simond qui bataille comme un lion pour tenter de les faire connaître.
Et l’assiette ? Pas mal, précis, soigné, amusant. Je me demande si, ici aussi, on n’a pas perdu ce sens de la générosité italienne, les petites portions prévalent et je n’ai pas ressenti cette merveilleuse impression d’enveloppement (la bonté). Le chef Oggioni fait grand cas de son risotto. Moi moins, mais je ne suis pas un critique gastronomique. Il va falloir que j’y retourne vite, j’ai encore 119 vins à goûter.

La photo : une bouteille du teroldego d’Elisabetta Foradori, qui mène son vignoble en biodynamie dans le Haut-Adige. Le panneau tellement juste : trouvé sur le site TumblR du blog A girl called Georges, where else ?

P.S. : le restaurant organise des soirées de dégustation de vins italiens autour d’une thématique régionale (janvier : Toscane, février : Sicile, mars : Pouilles, avril : Latium, mai : Vénétie) autour d’accords mets-vins (80 euros par personne). Renseignez-vous au 01 47 03 38 41 ou sur www.divinamenteitaliano.com

vendredi 16 décembre 2011

400 ans en quatre minutes


Un des grands mérites de nos belles maisons de vin, c’est leur profond enracinement dans l’Histoire de France (cela dit, même quand on est vigneron depuis quinze ou vingt ans, on a les pieds dedans, dans l’Histoire, mais c'en est une autre, celle du vin, déjà). Il y a de grands anciens dans tous les vignobles de France.
Où l’on parle de Château La Gaffelière, très historique propriété viticole de Saint-Émilion, aujourd'hui premier cru classé, reçue en dot par la famille de Malet en 1611. Ce qu’on appelle un passé. Nous avons rencontré Léo de Malet Roquefort, énième du nom, pour fêter ça. Voilà ce qu’il en dit. 400 ans en quatre minutes. On n'a plus le temps de rien.



Interview Nicolas de Rouyn, filmée par Youri Soltys, produite par Bettane+Desseauve

La photo : au cours du déjeuner donné par les Malet Roquefort, père et fils, nous avons eu la chance de goûter une verticale de la-gaffelière 1961, 55, 47 et cet extraordinaire 1928, d'une jeunesse ébouriffante de fruit et de fraîcheur. Le bordeaux quand il est très grand.

jeudi 15 décembre 2011

Les grands crus au secours de l’art contemporain


Pour acquérir des œuvres d’art contemporain, les amis du FRAC-Aquitaine organisent une vente aux enchères assez inhabituelle. Le Fonds régional d’art contemporain a demandé à quelques propriétés parmi les plus exclusives du Bordelais de faire don de quelques bouteilles d’exception. Ces lots seront dispersés à Paris chez Artcurial demain, vendredi 16 décembre à 14 heures. Ce qu’il y a d’inhabituel, c’est le fait que l’ensemble des lots est certifié provenir des caves des châteaux et, donc, d’avoir bénéficié des meilleures conditions de conservation. Une telle garantie est extrêmement rare dans le monde des ventes aux enchères de grands vins. Pour l’amateur, c’est une occasion à peu près unique. Le deuxième intérêt, c’est de n’y trouver que de grands millésimes dans des grands formats, à quelques lots près.

Voici un extrait de la liste des vins proposés à la vente.

Lots n° :

354
1 double-magnum CHATEAU LAFITE-ROTHSCHILD 2005
caisse bois d'origine
Estimation : 8000 - 9000 euros

355
1 magnum CHATEAU MOUTON-ROTHSCHILD 2000
caisse bois d'ébène
Estimation : 4000 - 6000 euros

356
1 magnum CHATEAU MOUTON-ROTHSCHILD 2000
caisse bois d'ébène
Estimation : 4000 - 6000 euros

357
1 double-magnum CHATEAU CHEVAL-BLANC 2005
caisse bois d'origine
Estimation : 2500 - 3000 euros

358
1 magnum PETRUS 2000
caisse bois d'origine
Estimation : 6000 - 6400 euros

359
6 bouteilles CHATEAU D'YQUEM 1982, 83, 85, 86, 88, 89
caisse bois d’origine
Estimation : 5000 - 6000 euros

360
1 impériale CHATEAU GUIRAUD 1988 (Sauternes)
caisse bois d'origine
Estimation : 700 - 800 euros

362
1 impériale CHATEAU HAUT-BAILLY 2000 (Pessac-Léognan)
caisse bois d'origine
Estimation : 800 - 1150 euros

363
1 bouteille CHATEAU GRUAUD-LAROSE 2000 (Saint-Julien)
caisse bois d'origine
Estimation : 1350 - 1500 euros
Cette bouteille présente la particularité d'être reconditionnée dans un flacon de 1700 trouvé dans les cales du trois mâts La Marie-Thérèse naufragé en 1872 au large de Saïgon. L’épave du bateau fut découverte en 1992.

364
6 bouteilles CHATEAU PALMER 2000 (Margaux)
caisse bois d'origine
Estimation : 760 - 1150 euros

365
1 double magnum CHATEAU GISCOURS 2005 (Margaux)
caisse bois d'origine
Estimation : 260 - 320 euros

366
1 magnum CHATEAU DU TERTRE 2005 (Margaux)
caisse bois d'origine
Estimation : 85 - 100 euros

367
1 magnum CHATEAU DU TERTRE 2005 (Margaux)
caisse bois d'origine
Estimation : 85 - 100 euros

368
1 impériale CHATEAU CAMENSAC 2005 (Haut-Médoc)
caisse bois d'origine
Estimation : 210 - 250 euros

370
1 impériale CHATEAU CAMENSAC 2009 (Haut-Médoc)
caisse bois d'origine
Estimation : 180 - 210 euros

371
1 double magnum CHATEAU CHASSE-SPLEEN 2000 (Moulis)
caisse bois d'origine
Estimation : 180 - 220 euros

374
1 jéroboam CHATEAU CHASSE-SPLEEN 2000 (Moulis)
caisse bois d'origine
Estimation : 310 - 370 euros

375
1 impériale CHATEAU CHASSE-SPLEEN 2000 (Moulis)
caisse bois d'origine
Estimation : 370 - 440 euros

377
1 double magnum CHATEAU DASSAULT 2005 (Saint-Émilion)
coffret bois de prestige
Estimation : 630 - 680 euros

378
3 magnums CHATEAU LA FLEUR 1998 (Saint-Émilion)
caisse bois d'origine
Estimation : 300 - 350 euros

379
3 magnums CHATEAU LA FLEUR 1999 (Saint-Émilion)
caisse bois d'origine
Estimation : 300 - 350 euros

380
1 jéroboam CHATEAU DE FERRAND 2005 (Saint-Émilion)
caisse bois d'origine
Estimation : 320 - 400 euros

381, 382, 383
3 magnums CHATEAU L'EVANGILE 1998 (Pomerol)
caisse bois d'origine
Estimation : 480 - 600 euros


Vous ne saviez pas quoi m’offrir à Noël ? Vous savez, maintenant.

Contact : + 33 (0)1 42 99 16 33/34 et vins@artcurial.com

mercredi 14 décembre 2011

Six minutes avec Jean-Michel Deiss

Ce qu’il y a de bien avec le mondovino, c’est qu’il est capable de produire des individus assez extra-ordinaires, des gens hors du commun, des garçons et des filles pas comme les autres. On peut s’en foutre complètement, c’est pas obligatoire de suivre la conversation. Moi, il y a longtemps que j’ai choisi de m’intéresser aux gens qui font le vin. Il y a un rapport entre un vin et celui qui le fait. Pendant le Grand Tasting, j’ai décidé d’interviewer Jean-Michel Deiss, l’Alsacien dont nous avons déjà parlé ici. Parce qu’il sortait d’une conférence sur ses méthodes, que son exposé était assez passionnant pour que ça me donne envie d’en faire une suite. La voilà. Cet entretien dure six minutes. Ce n’est pas long six minutes pour le bénéfice que vous, cher lecteur, allez en retirer. Six minutes, c’est moins qu’une casserole de pasta al dente. C’est aussi long qu’une Marlboro légère, debout dans le froid, avec les autres abrutis. C’est le temps qu’il faut à un type normal pour se rendre compte que cette fille est vraiment impossible. Six minutes avec Jean-Michel Deiss, ce sont six minutes gagnées.


Deiss par BDTMedia

Interview Nicolas de Rouyn, filmée par Youri Soltys, produite par Bettane+Desseauve

mardi 13 décembre 2011

Lafite, petrus et cheval contre balthus, un bordeaux sup


Une belle dégustation à l’aveugle pour le Grand jury européen. En lice, lafite, cheval-blanc et petrus. En pirate, balthus. C’est un bordeaux supérieur produit par Yves Vatelot, aussi propriétaire du fameux reignac, grosse vedette des amateurs de jolis bordeaux pas chers. Six millésimes pour chacun (2003 à 08), 24 vins en tout. L’idée étant de positionner ce vin face aux trois grands. Le Grand jury dans ses œuvres dans l’un des beaux salons du Laurent, deux heures entièrement filmées, sous l’œil d’aigle d’un huissier et de son assistante. Tous les vins, y compris les balthus, ont été achetés par ses soins dans le commerce, en l’occurrence dans un centre Leclerc, auprès duquel il avait passé commande. Les seize dégustateurs ne savaient rien de l’enjeu, des millésimes, des vins présentés. Ce que François Mauss qualifie d’aveugle « total ». Évidemment, et comme toujours, le meilleur moment est le debriefing. Chacun a rendu sa copie, c’est le moment de donner son avis, bouteille par bouteille. Parfois les dégustateurs s’accordent et d’autres fois, les avis sont radicalement opposés. Toujours, c’est le respect des avis divergents qui prime. Moi, à chaque fois, je suis scotché par la compétence des gens présents, leur capacité à reconnaître un vin, ce qu’ils en disent, comment ils estiment les potentiels, etc. Il y avait Bettane, Burtschy, Bourguignon, Vialette, Roger, Millet, Vizzari, Pétrus, Dubs, Dhur, d’autres encore, je n’ai pas retenu tous leurs noms, qu’ils me pardonnent.
Et que croyez-vous qu’il advint ? Comme de juste, le balthus n’a pas fait le poids face aux trois immenses compétiteurs. Sauf, une fois ou deux, sur un millésime ou un autre, il s’est classé troisième ou second. Alors, quel intérêt pour Vatelot, le propriétaire, de dépenser une petite fortune pour acquérir six lafites, six petrus et six cheval-blanc ? Dans le cas ou le balthus passait toujours derrière, rien de grave, c’est juste normal, il est à sa place, il n’y a plus qu’à recommencer avec le rideau d’en dessous, les seconds. Dans le cas ou le bordeaux sup écrase les premiers, énorme victoire, trompettes de la renommée, etc. Dans les deux cas, la compétence des commentaires des dégustateurs du Grand Jury lui apportait une somme d’informations sans équivalent sur ses vins, leurs qualités, leurs défauts, les pistes de progrès. Mais si balthus avait surclassé les trois autres, dans ces conditions précises, quel scandale. On se souvient de la session "Lascombes", on n'avait pas envie de revivre ce déchaînement.
Formidable déjeuner au Laurent à la suite de cette dégustation à l’aveugle. Une fois de plus, le chef Pégouret a fait des merveilles. Sa tourte de gibier, en particulier, a frappé tout le monde. Je n’avais jamais rien mangé de pareil. Je confirme ce que j’ai déjà écrit ici ou là, le Laurent est le meilleur restaurant de Paris, tous items confondus.

Le classement complet sur le blog du Grand jury, a été publié ce mercredi matin.

La photo : Les dégustateurs du Grand jury européen au travail sous l’œil des caméras. Photo Armand Borlant.

lundi 12 décembre 2011

L'albinos du cognac


Du cognac blanc. Le pas de côté est radical, on a l’impression d’une fuite, presque un reniement. Comment est-ce possible ? Techniquement, rien de plus simple. L’eau-de-vie, à la sortie de l’alambic, ne passe pas par la case « barriques », elle va directement en cuve inox. L’idée est de préserver l’éclat de sa transparence, la pureté de sa neutralité colorielle. Et, donc, de lui éviter le passage sous bois. En effet, c’est le long séjour en barriques qui donne sa couleur ambrée au cognac, le chêne et le temps sont ses deux grands colorants et, aussi, ses grands amis.
Commercialement, l’idée est forte, qu’on retrouve dans d’autres vignobles. En Armagnac, par exemple, où le négociant Rist-Dupeyron a sorti un armagnac blanc sobrement baptisé « Better than vodka », meilleur que la vodka. C’est bien de cette eau-de-vie qu’il s’agit, la vodka est directement prise pour cible avec, dans une moindre mesure, le gin. Voilà une façon amusante et intelligente de reprendre pied sur un marché national qui se détourne assez nettement du cognac. Pour se faire une image plus jeune, le grand problème du cognac en France, la démarche semble originale. Venir se coller dans le sillage de l’un des alcools les plus populaires de la planète, profiter de son succès pour progresser avec lui, proposer d’autres palettes aromatiques que celles de l’alcool de pomme de terre, le tout enveloppé dans une bouteille de 50 centilitres rappelant furieusement un flacon de parfum, on a l’impression que la maison Godet n’a reculé devant aucun des artifices disponibles dans le catalogue de marketing pour imposer sa vision, son sens de l’époque et le produit nouveau qui lui correspond. Il faut dire que les efforts louables déployés par l’inter-profession pour tenter de faire consommer du cognac en cocktail ou en long-drink n’ont pas beaucoup fait bouger les lignes. Le fameux « Summit », idée minimum, créé par une équipe de spécialistes du shaker et du poignet n’a eu qu’un impact mesuré sur les ventes de cognac dans l’Hexagone. Hélas, chacun aura oublié sa grand-mère qui buvait une fine à l’eau (du cognac allongé d’un peu d’eau fraîche) avant d’aller dormir. Maintenant, elle prend un somnifère, c’est dommage et ce n’est pas par hasard.

Et les similitudes avec la vodka ne s’arrêtent pas là. La maison de La Rochelle, installée sur les quais de l’historique port charentais depuis 1782, recommande de boire glacé ce cognac blanc. Pour grossir le trait, pour que personne n’oublie le conseil de dégustation, elle a baptisée sa nouveauté « Antarctica », un nom qui ne fait pas immédiatement penser à une crêpe flambée. Le choix est donné. On peut le goûter sur un glaçon ou directement sorti du freezer ou du congélateur. Et il y a gros à parier que cette eau-de-vie blanche fera un ingrédient de cocktail épatant. Les mixologistes (un mot nouveau pour barman) sont certainement déjà sur le coup.
Pour autant, la maison Godet revendique une filiation avec ses autres productions plus traditionnelles. Une suite organoleptique qui veut inclure « Antartica ». C’est surtout en termes olfactifs qu’on peut écrire cette histoire-là. Les tonalités fruitées et florales font effectivement partie de la grande famille cognaçaise. En bouche, on n’a pas l’impression d’être catapulté dans l’univers gustatif quasi-pharmaceutique de la vodka. Sans être grand clerc, on peut imaginer un avenir réjouissant à cette innovation. On peut aussi penser que, si ça marche ne serait-ce qu’un petit peu, d’autres maisons rejoindront Godet sur ce segment de marché encore inexploré.
Pour croire un peu plus à cet avenir riant, il est bon de savoir que le Beverage Testing Institute a décerné une médaille d’or à « Antarctica » lors du 2011 International Review of Spirits avec une note de 92 points sur 100 et la mention « exceptionnel ».
L’ultime bon point : un cognac très étonnant, de nature à éveiller toutes les curiosités. En soi, c’est énorme.

Aïe. Me suis trompé. Antarctica est un cognac, cela signifie qu'il passe du temps en barriques, c'est obligatoire au regard de l'appellation. Maxime Godet m'a appelé pour me le dire. Antarctica passe du temps en fûts de chêne. De très vieilles barriques qui préservent l'aspect cristallin du cognac puisque leur grand âge leur a enlevé toute capacité colorielle. J'ai donc écrit ci-dessus une grosse bêtise. Pardon. Décidément, ces blogueurs, c'est approximation et compagnie.



Mise à jour du 2 septembre 2014 
Du nouveau sur le front de la réglementation du cognac.
Le Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) m'apprend ce jour que le cognac ne peut pas (ne peut plus) être blanc.
Le BNIC m'a adressé un courrier, dont ceci :
"Il résulte notamment des usages locaux, loyaux et constants qui s'imposent à tous les producteurs et négociants de Cognac que la couleur est une caractéristique visuelle essentielle du cognac. Cette couleur résulte notamment du vieillissement minimal de deux ans en récipients de bois de chêne qui génère inévitablement une coloration par l'interaction entre les composés du bois des fûts, l'eau-de-vie et l'oxygène."
D'où on peut se poser deux questions.
Première question : Maxime Godet m'a-t-il pris pour une quiche en m'expliquant que ses vieux fûts ne transmettaient pas de couleur à ses eaux-de-vie ?
Deuxième question : l'interpro du cognac est-elle vraiment un frein à toute innovation sur des marchés où la vodka tient le tapis ?

Pour info, les mots "Folle blanche" sur le flacon désignent un cépage cognaçais.
Plus sur le cognac, ici, et sur l'armagnac, .
Cet article a été publié sous une autre forme dans Série limitée-Les Échos en novembre 2011.

samedi 10 décembre 2011

Écoute ton vin


Suite de notre épisode Grands textes & belles lectures. Aujourd'hui, comment une sensibilité musicale et l’étude du solfège et de l’harmonie ont ouvert un esprit et formé un discours sur le vin. C'est Michel Bettane qui parle. Un texte qu'on lit en plusieurs fois, que l'on médite, vers lequel on revient.

« Souvent, mes amis m’ont fait remarquer l’abondance d’analogies ou de références musicales dans la façon que j’ai de décrire les vins. Ils ont raison. La dégustation est une discipline qui dépasse le cadre de l’œnologie. Un œnologue peut déterminer avec précision à l’analyse les éléments constitutifs d’un vin, son alcool, son acidité, la force de son tannin. Mais s’il cherche à définir les arômes ou les saveurs, s’il veut rendre compte de ses sensations et les définir par des mots, il ne peut avoir recours qu’à des analogies, et celles-ci dépendent de son sens olfactif, lui-même intimement lié, nous le savons désormais, à son propre patrimoine génétique, tout en faisant référence à sa propre culture. La mienne est d’abord et avant tout musicale, l’œnologie n’étant venue que bien plus tard.
Si ma vie s’est divisée en plusieurs périodes, déterminées par des émotions successives, je n’ai pas tout de suite compris la façon dont elles m’ont en quelque sorte construit ou, pour user de plus de modestie, façonné. J’ai d’abord été sensible à la musique. J’ai encore très nettement le souvenir de ma première émotion esthétique, le son bien imparfait mais hypnotique d’un vieux 33 tours lu par le pick up d’avant-garde de mes parents, où Rudolf Serkin, vigoureusement accompagné par Eugène Ormandy et son orchestre de Philadelphie transfigurait le concerto l’Empereur de Beethoven. Je n’ai pas eu droit à la médiation d’un instrument réel qui m’aurait peut-être donné la force et la folie de devenir moi-même instrumentiste et actif, mais à celle d’une galette noire et de sa pochette multicolore qui m’ont rendu à vie auditeur, passif, mais passionnément impliqué par et dans l’acte d’audition. Quand j’ai étudié la musique, j’ai aimé, malgré leur aridité, l’étude du solfège, de l’harmonie, de l’analyse, parce qu’elles structuraient cette même audition et j’ai méprisé le rapport physique et digital au piano où, d’ailleurs, mes faiblesses naturelles (maladresse pathétique de coordination des deux mains, née d’un mauvais sens de l’équilibre, absence totale de mémoire des doigts) limitaient complètement mon confort et mon plaisir. Mais j’ai pu à l’écoute de l’art des plus grands chefs éduquer mon oreille. Je serai éternellement reconnaissant à Sergiu Célibidache d’avoir couronné mon éducation par le suivi passionné de ses concerts et de ses répétitions, au début des années 70 à Paris, même si ce que j’ai appris de lui me rend insupportable la médiocrité artistique de nombreux artistes encensés par la critique. Ce que j’ignorais alors c’est à quel point cette même éducation me rendrait l’univers du vin noble si passionnant.
Je passerai rapidement sur une seconde vie qui m’a fait étudier le grec ancien et sa littérature, ma sensibilité n’a en rien été modifiée, si ce n’est qu’elle a renforcé sa tendance naturelle à rechercher l’équilibre dans la forme, l’harmonie des proportions et la clarté du discours. L’extraordinaire aptitude de cette langue à inclure dans sa syntaxe et dans son vocabulaire la subjectivité de celui qui parle, sans altérer la précision de ce qu’il a à dire, me fait regretter la terrifiante inaptitude de la nôtre à en faire autant. Je peste contre elle chaque jour, depuis que je suis devenu critique de vin et que je me suis fixé comme but, non de décrire ce que je bois, à la façon des sommeliers, voyage mortellement ennuyeux et stérile dans l’univers du même au même, mais de transmettre au public ce qu’il y a d’inimitable et de non reproductible dans chaque vin, à savoir l’infinie combinaison des dons de la nature et du savoir-faire des hommes. J’aurais d’ailleurs depuis longtemps abandonné une tâche aussi follement présomptueuse si je n’avais spontanément, grâce à mon éducation musicale, un rapport d’écoute au vin.
J’entends par "écoute" la perception de ce que le vin me raconte sur le raisin qui l’a fait naître, son cycle végétatif, son élaboration et, donc, son rapport à l’histoire et à la géographie. La forme sous laquelle je perçois cette histoire est celle d’un timbre ou d’une "voix". Comme pour un instrument de musique, ce timbre se construit sur le rapport d’une assise, d’un fondement, et de leurs "harmoniques", c’est-à-dire d’un nombre infini de résonances qui sont autant de variations liées à l’année, à la volonté du vinificateur et aux hasards de la conservation et du vieillissement en bouteille. Ces harmoniques sont d’ailleurs plus portées par les sensations tactiles délivrées par le vin que par sa définition aromatique. Je dirais même que, pour celui qui y est sensible, ces sensations tactiles donnent formes aux sensations olfactives et permettent de les percevoir avec plus de discernement. Un arôme de framboise ou de cannelle ne délivre pas d’émotions par ce qui le définit comme arôme de framboise ou de cannelle, et qui relève de la chimie moléculaire, mais par son lien avec le corps, la texture du vin, et donc avec les informations contenues dans un raisin qui a poussé sur un terroir donné, dans un millésime donné, elles mêmes métamorphosées, structurées, et fixées pour la longue durée par l’activité du ferment. Il est donc nécessaire pour juger équitablement un vin de bonne origine, élaboré selon les traditions historiques européennes, de le concevoir comme une unité et non pas de l’éclater comme le font trop souvent les dégustateurs modernes en sous-sections (la robe, le nez, la bouche, l’arrière-bouche, etc.) qu’on additionne dans un ordre immuable où le bavardage descriptif tient lieu de science. Un grand nez est certes capable de diviser l’arôme complexe d’un beau vin en des dizaines de nuances aromatiques différentes, mais il ne sera compris que de ses pairs et pas du public qui se contentera d’admirer de loin l’exploit.
L’expert sait que la perception de ces arômes dépend largement des conditions de service, de la température du vin et de la salle, de la forme et du remplissage du verre et que des modifications, même légères, de ces conditions changent la pertinence de descriptions souvent complaisantes ou maniérées. Quant au spécialiste de l’olfaction, il ne sait que trop à quel point la perception des arômes et des saveurs dépend du patrimoine génétique de chaque individu, et les jugements de valeur émis à leur sujet, de la culture et de l’histoire des sociétés et des nations. Juger sur des critères universels la valeur "esthétique" d’une saveur est une chimère, et celui qui se fie à la compétence du juge, sans chercher à comprendre la relation personnelle de son goût à celui de ce même juge n’est qu’un gogo.
Voilà pourquoi l’approche d’un vin qui lie sa saveur à son origine m’a toujours semblé plus positive, plus pédagogique que celle qui la décrit, et constitue une information du consommateur plus utile, plus efficace et plus honnête. Mais comment relier une saveur et une origine ? J’avoue ne pas avoir trop réfléchi et avoir suivi la pente musicale de mon éducation et de ma sensibilité. J’ai donc instinctivement considéré une origine comme une partition de musique, un ensemble de données géologiques, climatiques, agronomiques et œnologiques constituées en un langage qu’il faut lire, comprendre puis interpréter. La saveur est le résultat de cette interprétation et l’interprète, une collectivité complexe de micro-organismes vivants (le ferment) sous la surveillance d’individus plus ou moins intelligents et sensibles, les vinificateurs. Ce rapport instinctif au vin a immédiatement plu à la fois au public et aux producteurs parce qu’ils ont sans doute trouvé dans les jugements fondés sur lui une clarté, une cohérence et une universalité que l’approche traditionnelle et descriptive aurait éludées.
Je me considérais un amateur comme les autres, ravi de discuter avec mes amis de la valeur des vins de nos caves respectives. J’ai été en quelques années, un peu malgré moi, bombardé "grand dégustateur" et "grand expert", puis, parce que je parlais un peu anglais et que je voyageais plus que mes collègues, représentant quasi officiel de la critique de vin française à l’étranger. Par la force des choses ce statut m’a conduit à être de plus en plus rigoureux avec mes sensations pour essayer d’être à la hauteur de cette position. Plus j’étais sévère avec mes sensations, plus il fallait leur donner un fondement solide, à partir d’une connaissance sans cesse approfondie des terroirs et des techniques agronomiques et œnologiques. Je n’aurais pas pu le faire sans l’aide généreuse et inconditionnelle d’innombrables viticulteurs un peu partout dans le monde et du dialogue permanent que j’entretiens avec eux. Bien sûr les esprits superficiels ou jaloux n’ont pas voulu comprendre cette relation et ne se privent pas d’ironiser sur un journaliste qui a la prétention ou l’arrogance de se mêler de technique et d’apprendre aux vignerons comment faire leur vin. D’autres, encore plus méchants, laissent entendre que cette démarche est une trahison de l’éthique du métier de critique, devenu un consultant mercenaire dont l’opinion ne peut-être que biaisée par des conflits d’intérêts. Le fonctionnement habituel de la presse française et sa soumission aux pressions de toutes sortes rendent plutôt comiques ce genre d’assertions et font sourire les viticulteurs, mais j’avoue qu’elles m’ont souvent blessé. Mais encore une fois, mon rapport musical au vin m’a beaucoup consolé en me plongeant dans l’étude du mystère qui fait les grandes bouteilles, conjonction fragile entre le génie d’un terroir et le talent de l’homme, avec la médiation de hasards jamais renouvelables.
»
Michel Bettane
On avance. Je ne sais pas vous, mais moi, ce texte me donne l'impression d'être un peu moins creux devant mon verre de grand vin. Quand j'en ai un.

La photo : Concert à Moscou. "Château Fombrauge", le stradivarius de Bernard Magrez dans les mains, dans les bras de Matthieu Arama (à gauche). Photo D.R. Ce texte a été publié sous une forme différente dans M, le magazine du Monde, fin novembre 2011.

vendredi 9 décembre 2011

Yquem et la Romanée-Conti, les vins sont des personnages (2/2)


Voici la deuxième partie de l’entretien que nous avons provoqué entre Aubert de Villaine (gérant et co-propriétaire du Domaine de la Romanée-Conti) et Alexandre de Lur-Saluces (ancien propriétaire du château d’Yquem). Vous avez été très nombreux à vous passionner pour la première partie et vous avez bien raison. Ce qui se dit dans ces échanges devrait être enseigné dans les écoles, étape par étape, à tous les niveaux de l’apprentissage de la culture, de la vie. Je rappelle que c’est Jean-Luc Barde qui a réuni les deux hommes et qui a animé cette conversation épatante.


Commence alors une dégustation dans la cave du Domaine de la Romanée-Conti...

À goûter vos vins, on a le sentiment d’être en présence de personnages.

Aubert de Villaine (Romanée-Conti) : Bien sûr, et c’est beaucoup plus important que les arômes, les goûts ou la ressemblance avec un fruit ou une fleur. Ce sont des personnalités avec leur manière d’être, plus ou moins discrète, voluptueuse, séductrice, ils font signe. Vous savez, les arômes, on peut les retrouver à peu près partout dans n’importe quel vin, aller au fond d’un vin c’est pénétrer le mystère de son caractère. Voyez cette romanée-saint-vivant dont le nom est attaché à celui d’un prieuré clunisien, il a dans son abord quelque chose de monastique, de rigide, moins hédoniste que l’echézeaux qui a précédé. Chaque année ce vin aura des arômes différents, mais il conservera ce caractère qui suggère que l’on aille vers lui. De millésime à millésime, l’individu change de visage, mais il est toujours là.

Alexandre de Lur-Saluces (ex-Yquem) : Comme on parle de l’équilibre d’un homme, le vin a le sien. On a envie de reprendre son verre pour l’interroger, on en attend des réponses. Goûter un vin c’est aimer un tout et l’analyse de la dégustation offre juste une carte d’identité, mais ne dit pas sa personnalité intime. Le temps passe, le vin et nous-mêmes changeons, c’est une évolution continue dans laquelle on essaye de trouver des constantes. Boire, déguster, c’est s’interroger sur soi-même, sur les autres, cela relève de l’introspection. Le vin doit à la fois charmer, mais il est aussi plein de pédagogie par les allers et les retours qu’il impose au dégustateur, de son verre à ses sensations. C’est la raison pour laquelle le marketing est un peu une absurdité en la matière. On prétend dans ce cas faire le vin qui plaît. Les Australiens, les Californiens ont commencé par cette préoccupation, mais la Bourgogne a quelque chose à enseigner de son histoire, de son identité. Thierry Manoncourt, du château Figeac à Saint-Émilion a dit un jour de sa voix douce à Robert Parker : « Je sais que vous n’aimez pas mon vin, mais ça m’est égal. Il est comme ça et c’est comme ça que je le ferai encore ».

Vos vins vous surprennent-ils ?

A.V. : Que de millésimes minces, malingres, qui dans la bouteille présentent au début un très léger goût de vert, de végétal, opèrent ensuite une mue étonnante. Un bourgeon qui tout à coup s’épanouit, se réveille dans le secret du flacon et donne cette fleur ouverte, un vin délicieux parfois supérieur aux réputées grandes années qui se livrent plus facilement. Le vin a sa logique invisible. Il y a des jours où cette romanée-conti 2010 est très en beauté, aujourd’hui elle se cache, se dérobe un peu. Et puis il arrive que l’on pense à eux, que l’on se dise
« tiens, comment va ce richebourg 1957 ? » On le goûte, on vient prendre de ses nouvelles.

A.L.S. : Le vin n’est pas livresque, j’ai un exemple récent. Le 2002 à Fargues était dans l’ombre du 2001, qui jusqu’alors l’écrasait. François Amirault l’a toujours défendu, arguant de ses qualités discrètes, mais bien réelles. Aujourd’hui, on ne sait pas pourquoi il a « explosé », c’est notre chouchou. C’est comme un enfant qui change et vous surprend, c’est un vivant. Il faut attendre le vin.

C’est un plaisir solitaire ?

A.V. : Non. Seul, c’est inutile, l’essentiel du vin est dans le partage. Dionysos est le dieu de l’offrande, de la fête partagée, lien entre les hommes. C’est dommage de voir le vin, produit civilisé, héritier des siècles, pris comme symbole de l’alcool dangereux. Je regrette quant à moi que nos grands hommes politiques se réclament de leur goût pour la littérature ou les arts, et jamais de ces magnifiques produits de civilisation que sont les grands vins français.

A.L.S. : C’est absurde, un véritable contresens, le vin se déguste, ce n’est pas avec lui que l’on se grise comme avec des alcools puissants. Un visiteur pékinois m’a expliqué qu’à côté des boissons avec lesquelles se shootent ses clients, il propose de grands vins. Cet homme est convaincu que le vin les amènera à réfléchir, à vivre autrement que dans l’immédiateté de l’ivresse. Ce devrait être un outil d’éducation du goût.

Comment recevez-vous l’arrivée des Chinois sur le marché ?

A.V. : Nous les voyons manifester un puissant appétit pour nos vins, que l’on ne peut satisfaire que dans une mesure infime. Ils se rattrapent un peu par le biais des ventes aux enchères à Hong Kong où les vins atteignent des prix extravagants. Je regarde ça avec un certain recul. J’ai vu les Américains, qui mettaient du Coca-cola dans leur vin, devenir de fins connaisseurs, au même titre que les Japonais qui se passionnent pour les grands vins, notamment les bourgognes. La rusticité apparente des Chinois se muera rapidement en connaissance et en expertise. Le vin entrera très vite dans leur champ culturel puisque c’est un peuple à la tradition ancienne.

A.L.S. : On est dans le domaine de l’exportation culturelle et j’ai inclus dans ma philosophie l’importance de l’accueil de mes visiteurs. C’est à mes yeux un devoir de leur faire apprécier et partager cet élément de notre culture.

(dégustation la-tâche 1979)

A.V. : On a le sentiment d’être avec quelqu’un. On débouche du temps. Il a à peine compris qu’il est libéré. Tout à l’heure, il va comprendre davantage. Ce vin, qui a respiré en grande compagnie dans le fût pendant dix-huit mois puis se retrouve prisonnier de la bouteille, en accepte la contrainte et là, on le sent vraiment heureux que la porte soit ouverte.

A.L.S. : Il se révèle petit à petit, il évolue encore, il fête sa libération et puis, après la joie, revient dans la discrétion.

(dégustation romanée-conti 1961)

A.V. : Ce sont de grands personnages discrets qui vous envoient des signes sublimes, l’air de rien. Les grands vins transmettent ça, quelque chose de leur histoire.

(dégustation montrachet 2000)

A.V. : C’était un millésime dont 10 % des grumes étaient attaquées par le botrytis, un clin d’oeil à Fargues.

A.L.S. : Ça fait du bien.


Pourquoi demander le classement des climats bourguignons au Patrimoine mondial de l’humanité ?

A.V. : Notre viticulture de climats est une construction en marche depuis 2 000 ans. Nulle part, la volonté de relier le vin au lieu qui l’a produit n’a été poussée aussi loin que sur ce ruban de vignes qui s’étire sur à peine 50 km. Cela donne un vignoble extrêmement parcellisé, des paysages, une économie, une culture spécifique qui marquent tous les aspects de la vie du territoire. Il y a plus de 1 249 climats le long de la Côte. C’est une multitude qui, comme une communauté humaine, exprime son caractère individuel, sa diversité, sa complexité, sa richesse et aussi son unité globale. Passées les grandes invasions, ce sont les moines qui, au VIe siècle, ont fait renaître la vigne sur les coteaux et ont réalisé que les vins avaient des goûts différents selon les lieux-dits d’où ils provenaient. Au XVIIe siècle apparaît sur les étiquettes le nom de ces crus, de ces climats. Dans les caves de Louis XIV ou de Louis XV, on trouve trace de Saint-Vivant, Clos-de-Bèze, Chambertin et, bien sûr, de Clos-Vougeot, exemple emblématique de la volonté des cisterciens de regrouper des parcelles pour leur parenté gustative. C’est ce caractère unique et original d’une viticulture bourguignonne devenue un modèle dans le monde entier qui lui donne une valeur universelle exceptionnelle et qui motive notre candidature au classement du Patrimoine mondial. Il y a aussi une prise de conscience locale de la qualité précieuse de ce patrimoine qui lui fait devoir de le préserver, de le transmettre. Si je me suis impliqué, c’est à cause de cette démarche pédagogique à l’adresse des Bourguignons, elle me paraît d’une importance capitale pour l’avenir.

A.L.S. : Je rêverais qu’une telle ambition soit poursuivie pour nos sauternes. Les grands crus n’ont pas toujours eu les moyens de faire ce qu’il fallait et les regroupements à visée économico-financière n’ont pas arrangé les choses. Le vin liquoreux de Sauternes est un merveilleux produit, le plus écologique qui soit. Sous la peau d’une baie s’opère par le truchement d’un champignon microscopique et capricieux une formidable transformation biologique, alchimie magique au sens médiéval du terme. Jusqu’au XVIIIe siècle, on s’en tient au passerillage, puis vient l’invention de la récolte par tries successives, on tient là un coup de génie paysan prolongé par des propriétaires intelligents, aristocrates, parlementaires, bourgeois, qui ont perçu et encouragé cette belle intuition. Au cours des siècles, toute une communauté a adhéré à un concept très exigeant qui justifie, au même titre que les climats bourguignons, son classement au Patrimoine mondial. Le système quasi familial bordelais a su le préserver jusqu’à la fin du XXe siècle, et l’entrée de la logique financière est une menace pour l’intégrité de cette construction humaine, culturelle, anti-économique, mais géniale invention, le Sauternais. Le vin ayant perdu son pouvoir mystique pour devenir un objet de spéculation, nous devons adopter la posture de l’entêtement de civilisation.

(retour à la dégustation de la romanée-conti 1961)

A.V. : Le nez est très intéressant par son dépouillement, sa fraîcheur vivante. En bouche, la chair est presque partie pour lui laisser un air spirituel qui relève de l’épure cistercienne, un vin de méditation.

(retour à la dégustation de la-tâche 1979)

A.V. : Après sa joie d’être ouvert tout à l’heure, il vient là tranquillement affirmer sa vieillesse débonnaire,

A.L.S. : Il nous offre des saveurs extraordinaires, il n’est pas sur le déclin ou alors c’est un déclin vers le futur. C’est une belle définition de l’avenir, c’est un vieux charmant.

A.V. : J’ai un souvenir de ce vin comme extrêmement vivant, énergique. Là, il se repose, il est lui-même, dans l’immobilité que connaissent certains vins qui ont atteint leur plus haut niveau et puis ne bougent plus pendant un certain temps, je pense qu’il peut rester comme ça pendant vingt ans encore…


Cela l’inscrit dans un temps qui défie celui des hommes ?

A.L.S. : Il paraît que les hommes sont programmés pour vivre 120 ans, nous nous approcherions alors de la longévité d’un grand vin.


La photo : Villaine et Lur-Saluces photographiés dans les vignes de la Romanée-Conti par Jean-Luc Barde. Cette conversation a été publiée sous une autre forme dans M, le magazine hebdomadaire du quotidien Le Monde.

Lire le début de cet échange, ici 


Rien à voir, mais puisque nous sommes dans les altitudes, allez lire quelques petits textes ici, pour le plaisir des mots rouges.

jeudi 8 décembre 2011

La mémoire de la vigne, la biodynamie, Yquem et la Romanée-Conti (1/2)


Pour faire un pas de côté, pour nous extraire de l’actualité, parce que c’est
« l’hiver et ses sapins verts », voici un long texte passionnant. Il s’agit d’une rencontre provoquée dans le but de publier la conversation qui s’en est suivi. C’est mon cher ami Jean-Luc Barde qui a eu la glorieuse charge d’animer cet échange et de faire les photos. C’est lui qui pose les questions. Et les réponses ? Elles sont le fruit des expériences confrontées d’Aubert de Villaine, co-propriétaire du Domaine de la Romanée-Conti, et d’Alexandre de Lur-Saluces, ancien propriétaire du château d’Yquem, aujourd’hui retiré en son château de Fargues où il produit un autre grand vin du Sauternais. Attention, haut niveau.


À l’image de ce recueil de lettres Pour Yquem publié par les éditions Mollat à Bordeaux au moment de la cession d’Yquem, pourrait-il y avoir un Pour La Romanée-Conti ?

Alexandre de Lur-Saluces (ex-Yquem) : Dans ces réactions qui témoignent de l’attachement des gens à ces lieux, on perçoit surtout un phénomène d’appropriation de ces fleurons de la culture commune, intouchables, où le propriétaire fait figure de dépositaire du temps passé, de représentant de l’avenir. Un monsieur très sérieux souhaitait voir répandre ses cendres sur les vignes d’Yquem… Le sol, qui a une formidable mémoire, se transmet entre les générations qui en prennent soin. Cela procède de cette intime relation entre les hommes et la terre. Que je sache, il n’y a pas d’institution qui fasse de très grands vins très longtemps.

Aubert de Villaine (Romanée-Conti) : Je suis d’accord avec cette idée de la mémoire de la vigne. En Bourgogne, sa naissance - ou plutôt renaissance - monastique n’est pas innocente, elle l’influence toujours. Quant aux familles, elles ont fait la preuve de leur capacité à préserver ce patrimoine, notamment dans les périodes difficiles. Entre l’arrivée du phylloxéra vers 1870 et le début des années 1970, le domaine n’a pas dégagé un centime de bénéfice. Dans l’entre-deux-guerres, mon grand-père faisait les fins de mois du domaine avec ses fermes de l’Allier. D’énormes sacrifices ont été consentis pour conserver ces hauts lieux. Je ne suis pas sûr que des groupes financiers seraient prêts à faire de même.

A.L.S. : Les propriétaires récents ou les groupes investisseurs ont à rendre compte de l’argent investi, si bien que leur premier réflexe est de demander quel est le rendement maximal que leur autorise la loi ou les droits de plantation dont ils disposent pour agrandir les surfaces. À mon arrivée à Yquem, en 1968, j’ai souhaité me donner les moyens de supporter une mauvaise récolte. La moyenne de 82 500 bouteilles, chiffre-clef légué par mon oncle, m’a servi de jauge pour traverser toutes les catastrophes climatiques. Il ne s’agissait donc pas d’agrandir ou de surproduire. La seule parcelle adjointe au vignoble, 10 hectares, a été achetée pour permettre aux chauffeurs de tracteurs d’aller en ligne droite.

A.V. : Ce qui me paraît expliquer le désintérêt relatif des grands groupes pour la Bourgogne, c’est que c’est un territoire fini. On ne peut pas l’agrandir d’un seul mètre carré. Les deux moyens de défense dont disposent nos familles sont bien sûr des statuts qui sont extrêmement protecteurs et une volonté consensuelle de conservation.

Est-ce qu’une morale, une éthique, président à la conduite de tels domaines?

A.L.S. : Evidemment, on est anxieux de conserver une bonne relation avec les gens qui admirent ce que l’on fait avec la nature. Elle dépasse la préoccupation de l’économie, nous évoquons les millésimes, la mémoire, l’histoire, un lien affectif s’établit avec ce vin. Nous avons le devoir de ne pas décevoir. C’est un engagement sur l’avenir de la relation intime avec l’amateur. Je me suis beaucoup interrogé lorsque j’ai supprimé trois millésimes, 72, 74 et 92 d’yquem. Pour ce dernier, la presse a qualifié l’abandon de ce millésime de geste héroïque. J’ai répondu qu’à le garder, nous en aurions rougi pendant plusieurs générations. Et puis, le personnel du château parle la même langue que son propriétaire, dont il est solidaire. Nous partageons le même savoir, la même morale.

A.V. : En 1992, nous aussi avons fait une croix sur ce millésime de montrachet. Les millésimes 1956 et 1963 pour certains crus et 1968 pour tous les crus rouges n’ont pas été mis en bouteilles. Nous avons une obligation morale, ou plutôt esthétique, de produire des vins qui soient au niveau exigé par leur appellation, et leur réputation, sans sortir des moyens que nous autorise notre philosophie. Ceci posé, si les étés des années 60 furent pourris, la nature nous est plus favorable depuis dix ans et, même dans des millésimes difficiles, l’arrière-saison est souvent magnifique et sauve nos récoltes.

Vous appartenez à deux cultures, Bordeaux et Bourgogne, qu’est-ce qui marque leurs différences ?

A.V. : Je connais trop mal Bordeaux pour me risquer à définir les différences avec la Bourgogne. Ici, nous avons la culture de la parcelle. Les sols, mais plus encore les sous-sols, sont par exemple très différents d’un côté à l’autre du chemin qui sépare la Romanée-Conti des Richebourg. Nous devons exprimer ces particularités, avec un seul cépage. Nous sommes dans une culture du détail, c’est presque du jardinage. L’importance du chef de culture, Nicolas Jacob, est capitale, bien qu’il soit moins en lumière que le chef de cave, Bernard Noblet, qui fait le vin. Ces différences entre nos climats, c’est-à-dire entre les terroirs que nous avons à mettre en valeur, c’est lui qui doit les exprimer grâce à sa connaissance de la parcelle et aux travaux à accomplir dans la vigne. Le Bourguignon est discret, il peut paraître renfermé, parfois soupe au lait, mais une fois en confiance il est l’être le plus convivial du monde. La Bourgogne abrite un peuple vigneron qui démontre combien, sur un territoire, ce qui ne laisse pas de traces visibles a plus d’importance que les faits notés dans les livres d’Histoire. Depuis le Xe siècle la tradition orale est essentielle à l’identité bourguignonne. À compter de la crise phylloxérique, c’est ce peuple vigneron qui est à la gouvernance du vignoble. Quant au vin de Bourgogne, il doit être l’expression la plus précise et fidèle de son terroir, à l’opposé de la recherche de puissance, concentré grâce à un rendement équilibré, mais transparent, c’est-à-dire donner une expression lisible de son climat.

A.L.S. : La Bourgogne est mono-cépage et mono-terroir. A Bordeaux, le vin est plutôt le résultat de l’assemblage de plusieurs cépages et parcelles différentes sur le même domaine. Il y a, en Bourgogne, la volonté de mettre en valeur des timbres-poste de collection. À Bordeaux, mis à part à Pétrus ou quelques « vins de garage », les parcelles sont étendues, même à Fargues sur ses 15 hectares. Le jeu de François Amirault, notre directeur d’exploitation depuis vingt ans, est d’aller chercher le bon raisin, noblement pourri au bon moment, au bon endroit. Il y a là un rajout à la complexité de l’assemblage. La géologie à Bordeaux s’étend sur de plus vastes surfaces, ce n’est pas la même échelle. À l’intérieur de chaque propriété, seul un agglomérat de parcelles est désigné par le nom d’un lieu-dit. Sur 120 hectares à Yquem, une dizaine de noms apparaissent, c’est peu comparé au vitrail bourguignon. L’ampleur des espaces favorise l’action sur le clavier des accords, appuyant sur telle note et corrigeant un type trop marqué. À Fargues, nous jouons avec le temps qui permet d’associer des raisins déjà récoltés à d’autres que nous avons choisis d’attendre. Il arrive que l’on reproche aux vins rouges de Bordeaux un excès de puissance. Les clairets étaient à l’époque des vins plus légers, moins tanniques. Aujourd’hui la tentation est d’avoir des vins solides qui voyagent loin et plaisent à Robert Parker. Bordeaux, lieu unique pour le vin, a inventé la « Place » qui unit diplomatiquement propriétaires, courtiers et négociants. Grâce à cette entité commerçante qui envoie ses soldats au quatre coins de la terre, nos vins l’ont conquise.

Quel rôle les hommes jouent-ils pour sublimer le génie du terroir ?

A.V. : On ne peut pas faire de grand vin sans l’adhésion complète de l’équipe à la philosophie qui est pensée pour lui. Chaque geste, le coup de sécateur, l’ébourgeonnage, le labour, chaque instant, doit être pénétré de cette intention philosophique, de cette tentative d’être aussi parfait que possible. Notre rôle est d’entretenir cette flamme qui vient de très loin. C’est bien au-delà de la possession, des canons scientistes, œnologiques, qui, si l’on n’y prend garde, prennent abusivement le pouvoir. C’est le respect de la tradition. Ce savoir vigneron oral, presque inconscient, qui parcourt les siècles, est notre grande richesse immatérielle. Ce savoir traditionnel ne refuse en aucun cas le progrès moderne, mais il l’encadre.

A.L.S. : Ce mot important de philosophie recouvre le profond respect que nous avons de l’amateur, c’est l’objectif ultime de notre parcours, de notre effort. Quand je suis parti d’Yquem, il m’a semblé que ce qui était le mieux réussi, c’était de n’avoir rien changé à la mentalité, à l’âme, de cette maison. Il n’y avait plus à formuler ses principes intangibles, et malgré les changements de chef de culture, de maître de chai, ils demeuraient inscrits dans la succession des générations. Aux portes de sa retraite, Yves Laporte, qui connaissait son parcellaire sur le bout du doigt, accepta de s’en aller progressivement pour former son jeune successeur. On a laissé les deux hommes s’apprivoiser et, un jour, Yves Laporte est venu me voir et m’a dit avec son merveilleux accent : « Monsieur le Comte, si vous permettez, je vais partir à la bleue » (la chasse à la tourterelle). Je lui ai dit : « Oui, mais votre successeur ? », il a répondu : « Je lui ai tout donné ». Il ne s’est pas trompé sur les mots, c’était très émouvant. Grâce à cette confiance entre ces hommes qui se livrent leurs secrets, la chaîne du savoir ne se rompt pas et l’esprit des lieux est respecté au-delà des critères préconisés par les ingénieurs, qui dénoncent parfois le non-sens économique apparent de nos méthodes.

Votre activité de vigneron change-t-elle votre rapport au temps ? Y-a-t-il un temps poétique du vin ?

A.V. : Dans ce monde moderne basé sur la vitesse, le raccourci, la mécanisation et ses automatismes qui éloignent de l’intervention humaine, le temps vigneron va à l’inverse. C’est la patience, la vision à long terme, sans être figé, le respect de la tradition. Notre morale est de rester dans ce temps-là. J’espère qu’il y a de la poésie dans nos vins, mais il n’y a rien de pire que la poésie sur le vin, toujours redondante, glorifiante, alors que le vin est lui même poésie. Point n’est besoin de mots pour l’accompagner, même les poèmes de Baudelaire dans ce registre sont parmi ses plus mauvais. La naissance d’un vin est le résultat de réflexions, de décisions, d’où la poésie est absente. Nous sommes là pour le faire, pour l’élaborer, cela demande de la rationalité, du courage et de l’humilité, parfois de l’intuition. En revanche certains moments dans l’année vigneronne me touchent, le sourire d’un vendangeur, un oiseau surpris à picorer un grain de verjus, une écharpe de brume au-dessus de la vigne, font partie de notre poésie quotidienne.

A.L.S. : Sur ce thème, j’avais accompagné Michel Onfray dans l’élaboration de son livre, Les formes du temps. Oui, nous déclinons le temps et le respectons soigneusement. Décider de vendanger, c’est se dire qu’en amont nous avons respecté le temps nécessaire à l’accomplissement de l’évolution des raisins, le temps qui passe, le temps qu’il fait, ces temps qui accompagnent des parcelles dont les soins prodigués depuis 70 ans pour les plus vieilles engagent notre présent et notre avenir. Les vendanges sont un moment symbolique fort, mais il y a plusieurs temps imbriqués puisqu’il faut veiller sur les trois millésimes précédents. Le vin achevé met trois ans à voir le jour, c’est le temps de l’observation et du soin, puis vient le vieillissement. Toute cette attention se retrouve dans le discours des amateurs qui tourne autour de la poésie du vin. Il faut respecter cette appropriation que le langage rend parfois émouvante dans un hommage brillant.

Que pensez-vous de la biodynamie ?

A.V. : Il n’y a jamais eu d’herbicides au domaine, nous avons choisi l’option biologique depuis le début des années 80 et nous avons mené de front pendant dix ans des expériences en biodynamie. Voici trois ans que nous sommes entièrement en biodynamie. Pour moi, c’est l’option biologique qui est le véritable franchissement qui permet d’accéder, par l’intermédiaire des sols et de la vigne, à une vraie expression du « climat ». Le terroir se souvient de la ou des philosophies qui ont été appliquées depuis ses débuts. Les soins apportés sont sa mémoire. Le passage en biodynamie nous a montré qu’on pouvait diminuer les doses de cuivre par l’emploi de plantes comme l’ortie ou la prêle sous formes de décoctions ou de tisanes. On est dans le ténu et la nuance, mais je pense qu’en bio, on obtient peu à peu une finesse de maturité supérieure que le vin, bien sûr, reflète par un surcroît de toucher et de transparence.

A.L.S. : L’ambition à Sauternes est d’avoir des raisins pourris noblement et naturellement, par l’action du Botrytis cinerea, et qui atteignent 20 degrés d’alcool potentiel. Les soins restent guidés par l’emploi minimal lors des traitements d’où sont absents radicalement les produits de synthèse. Le sulfate de cuivre étant un ennemi du champignon, on ne l’emploie quasiment pas. De fait, nous sommes en culture biologique. Dans la logique éthique et morale évoquée plus haut, nous sommes dans le respect du milieu où se développe la vigne.

Commence alors une dégustation dans la cave de la Romanée-Conti...


Ici, la suite de cet échange édifiant. Et les commentaires de nos deux grands hommes sur les vins du Domaine de la Romanée-Conti.

La photo : de gauche à droite, Aubert de Villaine et Alexandre de Lur-Saluces dans les vignes de la Romanée-Conti, photo Jean-Luc Barde. Cette conversation a été publiée sous une autre forme dans M, le magazine hebdomadaire du quotidien Le Monde.

mercredi 7 décembre 2011

Classement des blogs les plus influents, BonVivant monte sur le podium


Grosse satisfaction (ben oui) avec le classement e-buzzing (ex-Wikio) des blogs les plus influents (décembre 2011). J’accroche le podium sur la troisième marche, mais ce n’est pas le plus beau, non. Le meilleur, c’est la qualité du podium.
1 Miss GlouGlou, que j’aime tant et avec qui j’ai passé une année formidable et très drôle.
2 Wine Paper, mon pote Youri propulsé de nulle part en deux mois, ce talent. J'avais parié qu'il ferait premier, c'était sans compter sur SuperGlou qui joue les filles de fer.
Bon, et moi, 3.
Les faux modestes de la dernière fois, derrière.
Les autres choses à retenir, c’est l’arrivée dans le Top 20 de IntoTheWine, très WinePaper-like dans sa façon de faire vite. Le Vindicateur d’Antonin, qui n’a pas ménagé les effets de manche, est là aussi, c’est bien. Et Miss VickyWine, la plus glam’ des blogueuses, celle qui rend le vin tendance avec une belle intelligence. Les deux Miss qui font le plus grand bien au mondovino dans le Top20, c'est une excellente nouvelle, ça nous change des autres Miss (France, PlanPlan, Tutesvuequandtasbu, etc.).
Il y a des soirs qui nettoient tout.

Le classement de novembre, ici

lundi 5 décembre 2011

Grand Tasting, les restes (dans un petit millésime)


Le téléphone sonnait dans le vide. Vous savez ce que c’est, les petites structures. Loin de nous, les rêves d’absolu, les ambitions ambitieuses, les standardistes 24/24, on n'est dévoré par rien. Avec beaucoup de dignité et de retenue, nous savons nous contenter de ce que nous avons, même s’il s’agit de peu. À l’issue du rendez-vous #first de la saison, Le Grand Tasting, sixième édition, un succès considérable, cependant que chacun rentrait chez soi, nous avons procédé à l’évacuation des lieux, leur remise à nu, nous avons travaillé jusqu’au point du jour sous le regard froncé du bailleur. Et puis, au bout du week-end, ce lundi. Déjeuner au bureau, les uns ont annulé un déjeuner de travail, les autres ont reporté les courses de Noël aux Galeries, ont donné des coups de pied dans la fourmilière, chamboulé leur vie même, relu Typologie de la connasse. Tous les prétextes étaient bons, les excuses bidons, il a fallu être fort. Nous avions sûrement besoin de nous sentir ensemble, les Bettane+Desseauve, quinze à table, tous unis dans la descente, la baisse de pression, la chute de tension. Loin des contingences de la vie ordinaire, des prises de chou, loin des torticolis, des mains (et des couteaux) dans le dos, les sourires de convenance, le téléphone.
Nous avions une sorte de rendez-vous secret, un truc à nous. Les belles s’appelaient latour, lafite, haut-brion, mouton, margaux, ausone et cheval (yquem était déjà bu, normal, un sauternes, ça ne traîne pas). Dites donc, vous avez vu la liste ? C'est autre chose que la première pépette qui passe. Millésime 07, ça ira quand même. Ce qu’il restait du Grand T. Le coup des premiers GCC à prix coûtant, plus de 6 000 euros dépensés, un bide commercial, tout le monde s'en est foutu de nos jolis efforts, personne n'en a voulu au Grand T, on est nul en petit commerce. Du coup, un déjeuner extraordinaire. Non, pas les vins, on a l’habitude, mais ce qu'ils apportent, le too much des étiquettes over-prestigieuses. L’ambiance, les mots, les rires, on a appuyé sur le bouton "rien n’est trop beau, on l’a bien mérité". La comptable qui discute le bout de gras sur les qualités organoleptiques de latour, fermé à double tour, c'était Fort Knox. Les nez tordus sur l’inaccessibilité de lafite, l’exigence dans ses exaspérations, on verra ça dans quinze ans. La stagiaire de 20 ans qui a quelque chose à dire sur margaux, tout le monde se tait, quelques-uns font les cruels, mais gentiment. L’ampleur aromatique de mouton, tellement charmeur en son jeune âge, "exubérant comme Philippine" hasarde l'un d'entre nous sous les hourras et les vivas. Un verre de haut-brion se renverse, tout le monde se marre, les premiers crus ne font jamais de tache. Cheval et sa belle santé. Ausone au sommet de toute cette pyramide-là, ce jour-là. Ce bonheur souple. Le côté trois heures à table, le directeur financier l’œil allumé qui évoque sans rire, un après-midi "perdu", on ne se refait pas. Desseauve qui arrive après la bataille. L’amie Xiao de Chine qui prend des photos des étiquettes, lafite surtout. Une jeune fille devient toute rose, personne n’avait rien dit, pourtant. Les yeux des uns dans la chemise des autres, peut-être. Les débordements, c’est Fréjus, c’est le tsunami, c'est l'horizontale dingue. Le téléphone sonne sans cesse. Back to basics, l'après-midi est perdu, la journée est gagnée, on est une bande.

La photo : les restes, one dej later, la preuve par l'image.

Rien à voir : si vous voulez savoir la différence entre un journaliste et un blogueur, c'est ici

Grand Tasting, grand succès, petits soucis

Non seulement le Grand Tasting confirme d’année en année sa prépondérance dans le paysage Vin à Paris, mais cette année, la sixième édition de l’événement a connu un succès populaire considérable. Beaucoup plus de monde que les années précédentes et un public plus jeune et plus qualifié. Les producteurs et vignerons présents étaient ravis de voir des gens qui se passionnaient pour les vins, leur élaboration, les vignobles.
De même pour les MasterClass, les Ateliers Gourmet, Ateliers du Terroir qui ont tous rencontré le plus vif des succès. Nous avons vu passer des vins extraordinaires et, parfois, des crachoirs bien vides. Nous avons assisté également à quelques performances hors du commun. Pierre-Emmanuel Taittinger présentant une verticale de son champagne à 100 personnes éblouies, par exemple. Un grand numéro gravé dans toutes les mémoires.
Hélas, cette bulle de bonheur en rouge et en blanc a été ternie par quelques comportements regrettables. Fumeurs de tabac, tentatives de vol, buvage de vin à la bouteille sont des excès. Ci-dessous, les preuves en image.

Quel exemple pour les générations montantes…
Ici, dans une allée déserte du Grand T


Tentative de vol d'une bouteille de château-latour.
Tant qu'à faire, autant voler les grands…

Un haut-brion au goulot, maintenant.
Pas vue, pas prise ?


Dieu merci, les hommes des sévices de sécurité aisément reconnaissables
à leurs chemises bleu ciel ont pu intervenir sans délai et évacuer la fauteuse de trouble.
Merci, Messieurs.


Pourquoi une personne aussi équilibrée et sensible que Miss GlouGlou s'est-elle livrée à de tels dérapages ? Mystère d'autant plus insondable qu'un salon privé était à la disposition des blogueurs comme des blogueuses grâce au concours généreux et bienveillant des établissements iDealWine. Là, les attendaient les vins les plus fins, les garçons les plus spirituels et même des filles ravissantes, quoique farouches. Chez Bettane+Desseauve, c'est bien connu, tout est mis en œuvre pour que chacun se sente bien. Ce n'était pas encore suffisant ?

Les photos : Miss GlouGlou au Grand Tasting 2011 (fallait pas l'inviter). Photos Moi.