Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



vendredi 19 décembre 2008

Le champagne à la niche


Trois cents millions de bouteilles par an et plus, la performance est unique. Sa Majesté le champagne tient le haut du pavé chez les fêtards comme chez les gastronomes. Pour les uns, il y a l’essentiel de la production, les bruts (on dit aussi les « bruts sans année » pour les distinguer des bruts millésimés). Pour les autres, se sont développées trois niches qui ont pris beaucoup d’ampleur, au point de devenir de véritables phénomènes. Quand on a tout vu, tout lu, tout bu, l’émergence de tendances nouvelles est chaque fois une bonne nouvelle. A ce jour, très peu de Maisons de Champagne peuvent se permettre de faire l’impasse sur ces trois qualités. Il s’agit des blancs de blancs, des rosés et des non dosés. Avant de continuer, un petit rappel. Le champagne est le fruit de l’assemblage de vins issus de deux à trois cépages (chardonnay, pinot noir, pinot meunier), de plusieurs millésimes (qu’on appelle des vins de réserve) et d’un grand nombre de parcelles de vignes plantées de tel ou tel cépage (qu’on appelle des crus). Bien sûr, il existe autant de champagnes qu’il est possible tant les assemblages de tous ces éléments peuvent varier à l’infini. C’est toute la difficulté du jeu et tout le talent des chefs de caves qui est mis ainsi à l’épreuve. L’idée pour chaque Maison étant de fidéliser ses clients autour d’un style qui est à la fois l’identité de son champagne et l’essentiel des volumes proposés à la vente. Dés lors que l’on entre dans une autre logique, on peut tout imaginer. Chez Moët & Chandon, le chef de caves Benoît Gouez confirme que la production d’un millésimé sort du format Moët pour exprimer autre chose (la qualité du millésime). C’est ce qu’il cherche dans ce cas, bien plus que le fameux « style-maison ». Elaborer un blanc de blancs (un champagne blanc issu de raisins blancs), c’est s’affranchir des assemblages de trois cépages pour ne retenir et ne travailler qu’un seul, le chardonnay, mais toujours avec des vins de réserve et des raisins issus de différentes parcelles. Mais on trouve aussi chez Drappier un blanc de quatre blancs (Quattuor, 66 euros, photo ci-contre). Là, les cépages sont le chardonnay, le blanc vrai (ou pinot blanc), l’arbane et le petit meslier, les trois derniers étant vraiment rares. Le rosé est encore plus atypique par rapport à la production habituelle. Le champagne rosé est obtenu en mélangeant du vin blanc et du vin rouge à hauteur de 10 à 20 % selon le niveau de densité colorielle requis. Le vin rouge qui est utilisé est obtenu à parti de pinot noir vinifié en rouge, et cultivé sur les coteaux de Bouzy ou de Cumières, par exemple. C’est la seule appellation française qui ait le droit d’assembler du vin blanc et du vin rouge. Les autres pratiquent par saignée, c’est-à-dire en soustrayant les peaux des raisins au moment où la densité de couleur choisie est atteinte (quelques Champenois pratiquent ainsi). Et le non-dosé, de plus en plus à la mode, c’est un champagne sans sucre ajouté ou, en tous cas, avec moins de 3 grammes par litre. Là, c’est au moment de l’adjonction de ce qu’on appelle la liqueur de dosage (ou d'expédition) que le chef de cave intervient en diminuant ou en supprimant tout simplement le sucre contenu dans cette liqueur.
Ces années-ci, blancs de blancs, non-dosés et rosés sont passés au premier rang du buzz médiatique. Ce sont eux qui font les sujets dans la presse, ce sont eux que les amateurs défendent. Le premier motif est le caractère assez singulier de ces assemblages et leur modernité. En rupture avec les champagnes classiques, ils font passer les amateurs et leur sacro-saint prosélytisme pour de vrais branchés de la bulle. Ce qui n’est pas loin d’être le cas, d’ailleurs, sauf pour les rosés, bien sûr. Le blanc de blancs est couramment vanté pour son caractère aérien, loin de la vinosité des bruts. Pour accentuer cette impression, une grande Maison comme Ruinart propose son blanc de blancs dans une bouteille de verre transparent qui fait valoir le jaune d’or du champagne. Le non-dosé, lui, plaît pour ce qu’il n’a pas (le sucre) et s’inscrit du coup dans une tendance très actuelle. Son goût souvent plus droit, plus raide, n’est pas étranger non plus à cet engouement. On murmure que les femmes préfèrent le champagne rosé. Pour sa couleur, évidemment, mais aussi pour ses arômes de rose, de framboise, de groseille. Si les champagnes non-dosés et blancs de blancs ne sont pas vraiment des block-busters, les pourcentages de vente des rosés par rapport au reste grimpent à toute vitesse, ce qui tend à prouver que les hommes ne sont pas non plus insensibles aux charmes du champagne rosé. Et puis, il y a aussi des blancs de noirs (champagne blanc issu de raisins noirs, les pinots noir et meunier). Et là, c’est encore plus niche que niche : la dernière cuvée spéciale de Krug, le Clos d’Ambonnay est sorti à 3 000 exemplaires. Et à 3 000 euros le col. Mais on en trouve d’autres. Pannier, par exemple, a sorti un blanc de noirs millésimé 2002, sa cuvée Louis Eugène. A 30 euros la bouteille, on respire.

Didier Mariotti, chef de caves chez Mumm à propos des non-dosés :
« J’ai baissé les dosages parce que le vin le supporte, mais je ne suis pas sûr que le consommateur attende des non-dosés. Cela dit, j’espère que le goût du public se dirigera vers moins de sucré parce que la meilleure façon de goûter un champagne, c’est bien le non-dosé. Là, vous avez une photo du vin qui est très juste. »

L'ABUS D'ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTE.
A CONSOMMER AVEC MODERATION

mercredi 17 décembre 2008

Monument historique


Le cognac est une eau-de-vie dont l’histoire ancienne lui vaut d’être considéré comme un actif important du capital culturel et commercial de la France. Le manque d’intérêt incompréhensible que lui portent les Français est très largement compensé par son succès planétaire. Ouf.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, le cognac doit sa naissance à un défaut des vins issus des vignes des Charentes. Incapables de voyager, ces vins excellents sur place ont été distillés pour être transportables, tout simplement. Et ce sont des négociants hollandais qui ont fait la première expérience des vins « brûlés » (les brandwijn qui devinrent les brandys), une technique qui leur permettait de supporter le transport. La suite de l’histoire montre que l’idée était solide. Le cognac a vite conquis l’Europe et, d’abord, l’Angleterre jamais en retard quand il s’agit de s’intéresser à un produit du vignoble français. Le cognac a accompagné les négociants dans le monde entier en même temps que les Français s’en désintéressaient peu à peu.
Cette année, 96 % de la production est exportée, un chiffre hallucinant. Même une petite maison comme Frapin exporte dans 60 pays. Mais le cognac nous donne à lire une foule de chiffres incroyables. Ainsi 3 à 7 % de la production annuelle s’évapore ! Nous avons visité les chais immenses de Rémy Martin, dans la banlieue de Cognac (considérés comme hautement inflammables, les stocks d’eau-de-vie sont classés Seveso et n’ont plus le droit d’être conservé en ville). L’endroit, gardé comme un dépôt de munitions ou la Banque de France, est divisé en bâtiments qui abritent chacun 6 000 barriques. Pour cette Maison, 6 000 barriques c’est exactement le volume perdu chaque année… Pfuiit ! En contemplant l’intérieur du chai et ses milliers de barriques sagement alignées dans la pénombre, on est pris de vertige en se disant que toute cette production aura disparu purement et simplement dans l’année. On comprend qu’il faut des nerfs d’acier à un directeur financier pour admettre une telle gabegie et on peut penser que si les producteurs de cognac ont paré ce phénomène du nom délicat de « part des anges », c’est pour éviter de déprimer. Sacrés anges. De la même manière que les Champenois, les Charentais ont organisé un modèle économique qui fait la part belle à chacun des intervenants de la filière. Les grandes maisons de Cognac achètent le raisin (ou le moût, ou le distillat, c’est selon) aux vignerons, élèvent les eaux-de-vie, et les commercialisent à point nommé. Certaines grandes maisons sont propriétaires de vignes mais aucune n’en a assez pour assurer sa propre production. Ainsi, Rémy Martin est propriétaire de 300 hectares de vigne mais ces terres n’assurent que 3 % de la production de la maison (estimée à 24 millions de bouteilles). Il faut bien que quelqu’un vende ses raisins. D’autres maisons, et même de très belles comme Delamain, n’en possèdent pas et achètent donc aux vignerons. D'autres, comme Frapin en possèdent (270 hectares) et ne distillent que leur propre production sans aucun achat extérieur. Toutes les combinaisons existent.
Aujourd’hui, on voit poindre un soupçon d’amélioration dans les relations distendues que nos compatriotes entretiennent avec cette eau-de-vie miraculeuse. Et, comme partout dans le vignoble français, des vignerons inventent des "produits" différents et des manières innovantes de les présenter. Dans cet esprit, les cognacs de Léopold Gourmel et leur concept (fleurs, fruits, épices) sont une belle avancée. Comme dans tous les secteurs, le cognac possède ses produits d’entrée de gamme au prix retenu et ses flacons de très grand luxe follement coûteux. Il n’y a pas seulement de la magie dans les chais, il y a aussi un business. L’inter-profession a fait des efforts considérables pour rendre le cognac désirable par les couches les plus à la mode de la population. D’où la multiplication des cocktails et autres mix. C’est inventif et léger, c’est donc à la mode. Nous n’avons pas à décider si c’est une démarche qui tient compte de la réalité de cette eau-de-vie ou non, et si l’ancienne manière de la boire allongé d’eau (la célèbre fine à l’eau de nos grands-mères) doit revenir au goût du jour. Mais nous disons que le cognac restera pour nous et pour longtemps le compagnon voluptueux, c’est-à-dire complexe et goûteux, des fins de soirée, des après-dîners, cet espace-temps délicieux qui fabrique les meilleurs sommeils et les plus belles amours. Le cognac est lié pour la vie aux conversations douces, aux flirts brillants, aux consensus bienveillants. Comme une sorte d’amoureuse qui enveloppe et enchante le corps et le cœur. Pourquoi n’explique-t-on pas ces choses toutes simples aux jeunes générations ?

La photo : l'un des nombreux chais de Rémy Martin à Cognac (il contient 6 000 barriques), photographié par Mathieu Garçon

mardi 16 décembre 2008

Un bon vieux muscadet

Le muscadet, c’est un vin de soif, vif et tranchant (quand tout va bien), un vin de mer, iodé comme la brise océanique le soir, parfait avec des huîtres. Tout ceci est vrai, tout le monde ne peut pas se tromper tout le temps comme disait à peu près Abraham Lincoln. En plus, nous l’avons découvert, c’est aussi un vin de garde. Pas tous, bien sûr. Seulement ceux qui sont fait par des gens consciencieux, comme toujours. Les vignerons du Club des ambassadeurs du muscadet avaient appointé Jean-François Piège, le chef trois-étoiles du Crillon et son complice Antoine Petrus, étoile montante de la sommellerie française, pour faire comprendre à quelques journalistes les subtilités des terroirs où pousse le melon de Bourgogne, cépage du muscadet. Le tout sur un bateau de la compagnie Yachts de Paris, toujours parfaite. Parmi une grosse vingtaine de cuvées, la moitié affichait cinq ans au moins. Notre préférence a été sans l’ombre d’une hésitation vers un somptueux 1999, cuvée l’Astrée du Domaine de la Landelle. Petits rendements (30 hl/ha), vignes de 60 ans, 12,2 °, un vin gras, complexe avec de beaux arômes confits et beaucoup d’élégance. Bientôt dix ans et il n’a rien perdu de sa vivacité. On est devant un grand vin, bravo. J’en connais qui s’amuseraient beaucoup à le servir à l’aveugle, enchantés de voir les copains se perdre en conjectures en cherchant le terroir de Bourgogne. Le plus étonnant de l’affaire est le prix de ce vin : 7,20 euros. Un prix d’autrefois.

lundi 15 décembre 2008

Michel & Louis


L’Ami Louis est-il le meilleur restaurant du monde ? Le genre de débat qui devrait occuper un monde fou puisque pas mal d’Américains (Bill Clinton et Bruce Willis, clients fidèles) le croient. Et pas seulement. On croise souvent à l'Ami Louis, François Pinault, c'est sa cantine, ou Jacques Chirac. Nous, ce que nous adorons chez l’Ami Louis, ce n’est pas la gastronomie, somme toute assez rustique, mais l’ambiance inimitable. Déjeuner là en compagnie de quelques confrères et de notre cher Michel Tesseron, propriétaire de Lafon-Rochet à Saint-Estèphe et père de Basile (un jeune homme parfait dans le genre héritier de beau domaine, nous en parlerons une autre fois). Pour que les choses soient bien claires pour tout le monde, le journaliste de Marianne a commencé par un petit rappel historique qui a permis à chacun de ceux qui l’ignoraient de remettre L’Ami Louis dans son contexte, petit bougnat d’avant-guerre qui accueillait la fine fleur du journalisme d’extrême gauche collaborationniste de l’époque, sanctionnée à la Libération et interdite d’activité professionnelle dans tous les domaines sérieux (politique, économie, etc.). Ce sont ces gens-là qui ont, pour se désennuyer un peu, inventé la chronique gastronomique, seul espace d’expression encore autorisé. Depuis, le petit bougnat a fait beaucoup de chemin, le vieux monsieur a vendu il y a une vingtaine d’années à Thierry de La Brosse qui a eu l’intelligence de ne toucher à rien et qui a nommé directeur l’un des gars issu du rang. La belle histoire, c’est qu’il s’appelle Louis, ce monsieur. Pour la plupart des clients, l’Ami Louis, c’est lui, c’est Louis. Et pourquoi pas ?
Nous avons bien sûr eu droit au très fameux poulet, assez historique lui aussi, au buisson de frites, au foie gras, au fromage, un vrai déjeuner d’hiver arrosé de quelques millésimes de Lafon-Rochet, histoire de confirmer ce que nous savions déjà, c’est un très bon saint-estèphe. Ce qu’il y a de sympa avec Tesseron, c’est qu’il s’en fout complètement. Il n’est pas là pour se faire passer la pommade ou disserter sur la météo du millésime mais pour passer un bon moment en compagnie de quelques bons vivants triés sur le volet par ses soins. En ce sens, il ne s’est pas trompé. Pour pallier l’hypothèse du cas contraire, il avait également convoqué Philippe Courrian, un pote à lui, un type charmant, le vigneron qui fait le tour-haut-caussan, un haut-médoc épatant et pas cher que nous avait déjà fait découvrir Xiradakis (La Tupina, à Bordeaux). Un nuage de félicité planait sur la table, les millésimes se succédaient dans cette atmosphère généreuse et rigolarde qui est la signature du lieu et Michel était ravi. Oui, ce jour-là, l’Ami Louis était le meilleur restaurant du monde.

La photo : Monsieur Louis (debout) et Thierry de La Brosse, le propriétaire de l'Ami Louis, photographié par Mathieu Garçon

vendredi 12 décembre 2008

La Pointe au Carré


Beau déjeuner chez Dutournier (Carré des Feuillants) à l’invitation du château La Pointe, à Pomerol. Cette propriété de 22 hectares (c’est grand à Pomerol) est une acquisition récente de l’assureur Generali qui cultive de grandes ambitions pour ce vignoble. Son directeur technique, le jeune Eric Monneret, s’est adjoint les services d'une star de la Rive droite, Hubert de Boüard, par ailleurs propriétaire du célèbre Angelus à Saint-Emilion. Leur premier millésime est (sera) le 2008. A découvrir lors de la semaine des primeurs en avril 2009. Nous y reviendrons. Nous avons pu goûter quatre millésimes : 2006 (photo ci-contre), 2001, 2005 et 1998. Ceux qui dépassent sont le 01 et le 05. Légère dilution pour le 98 et trop grande jeunesse pour le 06. Le 01 montre bien à quel point nous avons eu raison de recommander l’achat de ce millésime, grandi à l’ombre du 2000, et dont la notoriété n’égale pas la qualité. L’ami Dutournier a réussi un ou deux accords mets-vins très jolis et, particulièrement, une déclinaison de lièvre épatante sur le 01. Tout ceci ne serait rien si ce déjeuner n’appelait pas la comparaison avec d’autres déjeuners dans les mêmes circonstances. Chez Taillevent, chez Apicius, au Ritz, chez Drouant, au Cinq, chez Ledoyen ou chez Lasserre, quelques-unes des tables visitées cet automne. L’évidence s’impose à chacun d'entre nous. C’est Dutournier qui a gagné. Et de loin. C’est là que nous avons goûté les meilleures choses, c’est chez lui que nous avons été le plus heureux à table. Parmi les vingt grandes tables parisiennes, c’est le Carré des Feuillants que nous recommandons. Bravo et merci.

L'ABUS D'ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTE.
A CONSOMMER AVEC MODERATION